Ce site met à disposition des textes et paroles écrites de l'abbé

Pierre Bellégo

Accueil Citations Homélies TextesPlan du siteContact

Homélie précédente Table Index Homélie suivante
Homélies prononcées en l’église Saint-Sulpice à Paris. 1968-1974

5/ DIMANCHE DE LA QUINQUAGÉSIME. 16 février 1969.

1 Cor 13,1-13. Luc 18,31-43

L’hymne à la charité appliqué à l’Église.

On comprend facilement que beaucoup de fiancés choisissent pour la liturgie de leur mariage, parmi les textes qui leur sont proposés, le passage de la lettre aux Corinthiens que nous avons entendu tout à l’heure.

Cet hymne à la charité, à la fois sublime et modestement quotidienne, constitue en effet une merveilleuse règle de vie pour les foyers, lieux privilégiés pour l'exercice de la charité.

Ils n'ont pas, bien sûr, le monopole de cette vertu et chacun de nous, marié ou célibataire, doit aujourd'hui supplier Jésus comme l'aveugle de Jéricho: « Seigneur, fais que je voie » afin de saisir plus clairement de quelle manière il pourra mettre en œuvre dans tous les secteurs de sa vie cette charité si difficile à définir et à vivre et sans laquelle pourtant on n'est rien.

Sans elle, l'Église, elle non plus ne serait rien.

Car, même si elle se présente à nous comme une société puissante dotée d'une organisation complexe, soumise à une autorité sans appel, elle est avant tout dans son fond une communion, une charité vivante et en acte. Elle n'existe, ne persiste, ne se développe que dans la charité. Les fonctions diverses qui, dès ses débuts ou au cours des siècles, se sont mises en place et la structurent, toutes les initiatives qui périodiquement viennent transformer sa vie, n'ont finalement qu'un but: faire d'elle davantage et mieux qu'auparavant une société par communion.

Et comment pourrait-il en être autrement puisque l'Église, dans son organisation et sa vie, n'a d'autre but que de faire entrevoir la source d'où elle tire origine pour y relier les hommes et de faire déjà briller â leurs yeux le terme vers lequel, en elle et par elle, ils s'avancent...

Cette source c'est Dieu dans le mystère de sa vie personnelle et ce terme c'est Dieu encore dans le mystère de sa vie universellement partagée.

La source c'est Dieu dans le mystère de sa vie personnelle. Or, cette vie personnelle de Dieu - pour autant que nous puissions la connaître, pour autant que nous puissions en parler - c'est une vie de charité patiente jusqu'à être éternelle, serviable jusqu'au don absolu, totalement pure de toute jalousie qui établirait une autonomie ou zones réservées; c'est une vie de relations, d’échanges que les théologiens ont essayé de traduire dans l'élaboration lente et difficile de la doctrine trinitaire et que le sens chrétien spontanément compare à la vie d'une famille idéale comme il n'en existe pas parmi nous. Ce qui inspirait la réponse d'un enfant du catéchisme «Est-ce que Dieu est une personne?» lui demandait-on. Non ! «Qu'est-il alors?» - Une famille ! Parce que Dieu est une famille, parce qu'il est la seule famille établie dans une totale et éternelle communion, l'Église qui émane de lui, l’Église qui trouve en lui source et origine ne peut être, elle aussi, que famille et communion.

Et si au milieu de cette famille des membres se distinguent par des fonctions diverses, si cette famille se hiérarchise, ce n'est pas parce que certains auraient une dignité ou une valeur supérieure, c'est seulement pour signifier que la communion qui constitue cette société a sa source et son origine non en elle-même, mais en Dieu - et qu'elle doit être continuellement reliée, rattachée à son auteur par le service de l'autorité.

Car c'est bien là en effet la fonction de l'autorité hiérarchique dans l'Église…C'est une responsabilité: celle de maintenir l'Église dans la communion en la rattachant sans cesse à Dieu qui en est la source et l'origine.

C'est ce qu'exprimait bien notre archevêque quand il déclarait l'autre jour à la radio: « pour la sauvegarde de la foi, je serai un roc » et son accent de Rodez conférait à ces mots une extraordinaire puissance d'évocation; c'était l'élément originel, la base, le fondement sur lequel tout peut prendre appui, toute construction pourra sans danger se développer...

Si la Source de l’Église c'est Dieu dans le mystère de sa vie trinitaire, son terme c'est Dieu encore dans le mystère de sa vie universellement communiquée et partagée. L'épanouissement définitif de l'Église c'est le Royaume de Dieu. Vers ce terme elle est en marche et à travers ses paroles, ses actes, son organisation, ses structures doit se faire sentir l'attraction qui nous attire vers lui, entendre l'appel qui nous vient de lui.

Or ce royaume de Dieu il est essentiellement une communion mais une communion sans frontières ni limites. Là seront éliminées au creuset de l'amour toutes les scories qui ici et aujourd'hui dévalorisent notre charité. Là, plus de pauvres ni de riches, plus de jeunes, ni de vieillards, plus d'opposition des sexes, plus de vertus conformistes, plus d'intégristes ni de progressistes, mais aussi plus de prêtres ni de laïcs: un seul peuple sacerdotal. Plus d'Église enseignante ni d'Église enseignée: la seule lumière de l'Esprit. Plus de distance entre l'évêque et le «dernier des laïcs» pour parler comme le font encore malencontreusement certains textes du Concile, mais un seul peuple royal dans la gloire partagée de notre Dieu. S'il en est ainsi il est bien évident qu'il ne faut pas trop durcir les divisions, les diversités de fonction qui existent nécessairement dans l'Église du Temps: il ne faut pas conférer une valeur absolue à ce qui n'est que relatif, ni rendre éternel ce qui n'est que temporel.

C'est pour Sauver l'Église de ces écueils sur lesquels elle s'échouerait trop facilement que l'Esprit suscite continuellement dans l'Église ces hommes et ces femmes qu'on appelle les prophètes et qui ont pour vocation de rappeler que l'Église est en marche vers le Royaume, que ses structures n'ont pas valeur en elle-même. Mais seulement dans la mesure où elles font naître une plus réelle et vivante communion - que tout ce qui est imparfait doit disparaître pour faire face à ce qui est parfait: la charité.

Vocation nécessaire mais crucifiante, car si l'Église canonise souvent ses prophètes après leur mort, elle les supporte difficilement pendant leur vie. Pensez: saint François d'Assise exclu de la responsabilité de l'ordre qu'il avait fondé. Pensez à Thérèse d'Avila en difficulté continuelle avec les évêques espagnols de son temps. Pensez plus récemment au Père Lebbe qui voulant que l'Église de Chine fut chinoise avec les chinois dût finalement, suspecté par ses supérieurs, quitter ce pays auquel il avait voué sa vie, jusqu'au jour où Pie XI fit appel à lui pour choisir les six premiers évêques chinois.

Vocation nécessaire mais crucifiante car elle se vit dans la continuelle incertitude et la crainte déchirante de n'être pas fidèle à l'Église.

Vocation qui ne peut s'exercer que dans un respect absolu de la charité telle que la décrit saint Paul: celle qui est patiente et sait respecter les délais - celle qui étant serviable sait se mettre au service de tous - celle qui ne cherche pas son intérêt, mais celui de la communauté - celle qui ne s'enfle pas, mais sait accepter les confrontations, les dialogues, respecte l'autorité dans la communauté - celle enfin qui espère tout et ne doute jamais des possibilités de l'Église au service de laquelle nous sommes tous appelés.

Dans une des nouvelles prières eucharistiques, la plus courte, nous demandons à Dieu: «souviens-toi de ton Église; fais-la grandir dans la charité.» Que dans le jeu de ses formes diverses, notre église s'enracine dans la charité de Dieu, et entraîne tous les hommes vers ce Royaume où ce qui est imparfait disparaîtra pour laisser place à ce qui est parfait: la charité. Amen.

Homélie précédente Table Index Homélie suivante