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Pierre Bellégo

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Homélies prononcées en l’église Saint-Sulpice à Paris. 1968-1974

7/ QUATRIÈME DIMANCHE DE CARÊME. 16 mars 1969.

Ga 4,22-31. Jn 9,16-38.

Guérison de l’aveugle-né.

Après la proclamation de la Parole de Dieu, après la méditation personnelle que nous avons pu en faire avec l'aide du psaume responsorial, voici maintenant le moment de l'homélie, du sermon.

Et c'est encore la Parole de Dieu, mais non pas sous sa forme intemporelle, comme dans les lectures, non pas non plus dans le retentissement personnel et intime qu'elle a eu en chacun de nous pendant une méditation silencieuse. C'est, capté par un de ses membres, l'écho que la Parole de Dieu éveille dans une communauté chrétienne donnée, en fonction de sa situation, de ses besoins à un moment précis de son histoire.

Mon rôle maintenant ce n'est donc pas de vous livrer une page de carnet intime où j'aurais noté mes réactions à la Parole de Dieu, mais de vous proposer ce qui, dans la Parole d'aujourd'hui, me semble répondre aux besoins et à l'attente de la communauté que nous sommes et que nous devons devenir.

Il n'est plus question, bien sûr, de proclamer mais seulement de proposer avec une conscience très vive du caractère relatif et très contestable de ce que j'avance.

En pensant donc - dans la mesure limitée où je la connais - à notre communauté chrétienne de Saint-Sulpice, voici ce qui m'a frappé dans les textes d'aujourd'hui et plus spécialement dans l'Évangile de la guérison de l'aveugle né: ce qui m'a frappé c'est ce fait que le Christ a d'abord rendu la vue à l'aveugle, puis, après seulement, s'est révélé à lui pour appeler l'adhésion de sa foi.

Il a rendu la vue à l'aveugle. Comprenons bien: cela veut dire concrètement que Jésus, par son intervention, a permis à un homme de prendre plus consciemment, plus délibérément sa place au milieu des hommes. Qu'il guérisse un paralytique en disant « debout, prends ton grabat et marche », qu'il permette à des aveugles de connaître le visage de leurs frères ou qu'il arrache Lazare à la solitude décomposante de la tombe, l'action de Jésus va toujours dans le même sens: il appelle l'homme à sortir de lui-même et à entrer dans la communion des autres hommes, à tenir sa place, dans la joie et sans doute plus souvent dans la peine, au milieu de tous. Sans doute cet aveugle eut-il une joie immense à regarder le visage de son père et de sa mère qu'il n'avait pu jusqu'ici que déchiffrer de ses mains attentives, mais bientôt voici que sur ce visage il lit l'inquiétude, la honte, la peur, le refus de le reconnaître pour leur fils devant les autorités religieuses menaçantes. Sans doute aspirait-il à voir le regard de ces pharisiens qu'il entendait parler de Dieu avec tant de zèle, mais voici que dans leur regard n'apparaît qu'une lumière froide, l'orgueil de l'esprit qui se ferme, juge, condamne.

L'univers nouveau dans lequel Jésus l'introduisait n’était pas un univers de douceur, un monde fait pour lui, sur mesure, non, bien loin de là, mais c'était un monde qui appelait par ses contradictions même son attention, sa réflexion, son amour: un monde qu'il avait à construire plus vaste, plus grand, plus beau.

Et c'est seulement lorsque ses yeux furent ouverts sur ce monde, lorsqu'il en accepta d'en être un membre actif, lorsque les yeux ouverts sur la vie il assuma par delà les dépendances familiales ou les étroitesses d'une caste religieuse et sociale sa liberté d'homme - c'est alors que Jésus se révèle à lui comme la source et le terme caché, invisible - mais perceptible à la foi - de cette communauté des hommes à laquelle il acceptait d'appartenir.

- Crois-tu au Fils de Dieu? - Et qui est-il Seigneur pour que je croie en lui? Jésus lui dit: « tu l'as vu, c'est lui qui te parle ». Il dit: « Je crois, Seigneur ».

De ce comportement de Jésus que nous tentons d'analyser nous pouvons, me semble-t-il, tirer quelques enseignements pour la tâche que nous avons à remplir au milieu des hommes - car nous avons une tache chrétienne à remplir au milieu des hommes: saint Paul nous le rappelle, lui qui écrivant aux Ephésiens « vous étiez jadis ténèbres; mais vous êtes à présent lumière dans le Seigneur, conduisez-vous en fils de la lumière ».

Nous sommes lumière.... comme celui qui a déclaré: « Je suis la lumière du monde.., » comme Jésus.

Nous venons de préciser il y a un instant comment Jésus est lumière du monde. Non pas en revivifiant un nerf optique, en rendant la vue à des yeux éteints: ça c'est un miracle c'est-à-dire un signe.

Jésus est lumière du monde d'abord en rappelant aux hommes qu'ils ne sont pas seuls au monde - en leur montrant qu'ils ont des frères autour d'eux, en leur faisant prendre conscience de leur mutuelle responsabilité, en leur apprenant qu'ils sont tous - comme David dont nous parlait la première lecture - qu'ils sont tous pasteur d'un peuple.

Jésus est lumière du monde aussi en révélant que dans ces responsabilités acceptées avec tous les renoncements qu'elles supposent, c'est lui finalement, Jésus, qui est atteint, accepté ainsi et que le peuple ainsi constitué par l'engagement quotidien déborde de beaucoup les frontières d'une famille, d'un milieu, d'une patrie, d'une église mais que c'est un peuple innombrable de frères, celui que Dieu veut rassembler éternellement dans et par son amour...

Pour être au milieu du monde vraiment lumière, pour nous conduire en fils de la lumière... il nous faut, c'est bien sûr, suivre la démarche même de Jésus lumière du monde...

Et pour cela d'abord être vraiment dans le monde - dans les ténèbres du monde.

Saint Jean nous dit dans le prologue de son évangile: le Verbe était la lumière qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Saint Matthieu et saint Marc et saint Luc nous rappellent que lorsqu'on allume une lampe, on ne la met pas sous le boisseau où elle n'éclairerait qu'un espace vide, mais on la place sur un lampadaire afin qu'elle illumine tous ceux qui sont dans la maison et qu'existe enfin dans la lumière des visages, des êtres qui n'étaient pas encore venus au jour...

Le Chrétien doit être dans le monde. Il doit y être pour faire voir, pour aider à voir, à voir mieux et plus loin.

Or, vous le savez, notre vue d'homme est extrêmement limitée.

Les conditions de la vie, nos peurs et nos craintes agissent sur notre intelligence et notre cœur comme des œillères pour la vue: elles les limitent. Dans bien des cas l'homme ne voit pas au delà de l'univers limité que définissent pour lui son milieu familial, son éducation, sa classe sociale, ses intérêts, sa race, son appartenance à une église. Au delà de ces frontières rien n'existe, rien n'a le droit d'exister.

Quelques exemples:

I1 faudrait parler de tous les racismes, de toutes les exclusions. Il faudrait évoquer les mutuelles condamnations d'intégristes et de progressistes qui n'ont que peu à voir avec l'Évangile.

Il faudrait parler du Tiers-monde qu'un système économique dont nous sommes bénéficiaires voue aveuglément à l'inexistence...

Faire éclater l'écran des structures qui cachent le réel, ouvrir les mentalités qui portent à ignorer les autres hommes, ouvrir les yeux sur le monde et son immense ampleur... inviter à être homme au milieu de tous les hommes.... et cela par leur propre effort pour dépasser leurs propres préjugés, leur esprit de caste, la conscience de leur supériorité... telle est la tâche du fils de la lumière.

Alors avec ces hommes qui seront vraiment au monde, Jésus venu dans le monde pourra demander: « crois-tu au Fils de Dieu? » Et ils seront à même de reconnaître et de proclamer: « je crois, Seigneur. » Amen.

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