Ce site met à disposition des textes et paroles écrites de l'abbé

Pierre Bellégo

Accueil Citations Homélies TextesPlan du siteContact

Homélie précédente Table Index Homélie suivante
Homélies prononcées en l’église Saint-Sulpice à Paris. 1968-1974

9/ NEUVIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE. 27 juillet 1969.

1 Co 10,6-13. Luc 19,41-47.

Jésus chasse les marchands du Temple. Le vrai temple de Dieu, c’est le cœur de l’homme et surtout le cœur de l’homme de prière qui crie vers Dieu au nom de ceux qui ne le connaissent pas afin que ce monde devienne Royaume de Dieu, gloire de Dieu. La prière.

« Ma maison sera une maison de prière et vous en avez fait une caverne de voleurs ».

Il y a au moins trois façons d'entendre cette violente invective du Christ. La première c'est de la situer dans son contexte historique comme nous le lisons dans l'Évangile de ce jour: le Christ emporté par un mouvement de violente indignation, chasse les marchands qui avaient installé leur commerce dans les parvis du Temple. Nous avons là une révélation de la psychologie de Jésus. Nous pénétrons plus avant dans la connaissance de sa personnalité complexe. Et cela est intéressant bien sûr, mais cela ne nous atteint pas, ne nous touche pas, nous, directement.

La deuxième manière d'entendre le texte est déjà une interprétation: par maison de Dieu nous comprenons non plus le Temple de Jérusalem bâti par Salomon et qui devra quelques années plus tard, être détruit par les Romains, mais les églises qui se dressent au milieu de nos villes et où nous cherchons la personne de Dieu. En voyant comment certaines d'entre elles ont tendance à devenir des musées pour touristes, des lieux de commerce, nous sentons monter en nous une indignation semblable à celle du Christ - mais finalement c'est pour nous un moyen facile de nous donner un diplôme de chrétien à la foi éclairée qui ne se laisse pas entraîner dans ce que nous considérons dédaigneusement comme de pauvres superstitions. Au fond, cette attitude ne nous touche pas non plus très directement et ne va pas très loin.

Mais il en est une troisième. Elle s'appuie sur l'affirmation souvent répétée dans l'Écriture que le vrai Temple de Dieu ce n'est ni celui de Jérusalem, ni les églises de nos cités, mais le cœur, la vie de tout croyant et finalement de tout homme. Saint Paul lui-même l'affirme: « Vous êtes le Temple de Dieu et l'Esprit Saint habite en vous ».

Si nous l'entendons ainsi le texte alors nous touche directement. Sa violence nous atteint de plein fouet. Et nous comprenons la véhémence du Christ car il s'agit non plus d'un bâtiment détourné de sa destination, ce qui finalement n'est pas très grave, mais de vies - nos vies - qui ne réalisent pas la vocation à laquelle elles étaient appelées, qui sont infidèles à la fonction qui leur était départie – c’est le dessein de Dieu sur l'homme et sur le monde qui, par nous, se trouve contrecarré.

Le dessein de Dieu sur l'homme et sur le monde, il nous est révélé trait par trait, dimanche après dimanche, dans ce temps qui suit la Pentecôte.

Rappelez-vous ce passage de la lettre aux Romains que nous lisions il n'y a pas longtemps. Saint Paul y contemplait l'histoire du monde, ses péripéties et ses crises, il essayait d'en discerner le sens et il écrivait: « La création tout entière dans un ardent désir attend la révélation des Fils de Dieu ».

Par cette affirmation qui reste mystérieuse et obscure, nous entrevoyons pourtant quelle doit être la destinée du monde. Il n'est pas destiné seulement à être l'univers sans secret des savants et des techniciens; pas seulement l'univers sans contradictions internes dont rêvent économistes et politiciens; pas seulement l'humanité sans complexes des psychanalystes: il est appelé à un état inimaginable pour nous dont tout ce que nous admirons aujourd'hui n'est qu'une amorce obscure. Il doit devenir le monde de la gloire de Dieu, transmué par l'effusion de l'Esprit, habité par une humanité unie au-delà de toute unité humaine par la communion à l'unité de Dieu.

Et pour cela le monde a besoin de savants, bien sûr, qui en percent le secret, de techniciens qui en exploitent les ressources, de politiciens qui en organisent les relations, d'hommes et de femmes qui s'aiment pour créer cette atmosphère de tendresse et de douceur hors de laquelle l'homme ne saurait vivre, de poètes et d’artistes pour percevoir sa beauté et la chanter. Mais il a encore bien davantage besoin d'hommes qui prient et qui le mettent en contact continuel avec la source de sa vitalité profonde et de son avenir inespéré qui est Dieu.

Il a besoin d'hommes qui prient non pas parce que savants et techniciens seraient impuissants à découvrir et à maîtriser les forces du monde - non pas parce que le monde serait en lui même mauvais et voué au désordre, mais parce que le monde est grand, beau, riche, ample… mais qu'il est appelé à une grandeur plus sublime, à une beauté plus éclatante, à une richesse plus opulente qui lui seront communiquées par l'influx de la vitalité de Dieu, par la participation à la vie mystérieuse et infinie du Seigneur.

Quand j’ai parlé d'hommes qui prient sans doute avez-vous pensé à ceux qu'on appelle « religieux » et qui, hommes ou femmes isolés du monde par les murs de leur monastère consacrent en effet la majeure partie de leur temps à la prière.

Il est vrai que c'est là leur vocation.

Mais leur existence a aussi une signification pour nous: ils nous enseignent qu'il n'y a pas de vie chrétienne vraie sans une part de contemplation… De même qu'il n'y a pas d'Église sans laïcs, sans prêtres et sans institution monastique, de même il n’y a pas de vie chrétienne sans présence au monde, sans participation aux sacrements de l'Église - mais aussi sans un temps consacré à la prière, à la contemplation.

Un chrétien qui s'y déroberait manquerait à sa vocation de chrétien, serait infidèle à sa fonction. Il mériterait le reproche du Christ: vous en avez fait une caverne de brigands.

Il m'est facile de vous rappeler l'exigence et l'urgence de la prière. Il est plus difficile de vous expliquer comment prier.

Je me contenterai de vous présenter une image: elle est simple, suggestive, vous la connaissez sans doute car elle apparaît sur plusieurs fresques des catacombes romaines. On l'appelle la figure de l'orante. On y voit un personnage debout, le visage dressé vers le ciel et les paumes ouvertes, tournées vers le haut. C'était l'attitude qu'adoptaient les premiers chrétiens quand ils priaient et n'est qu'une attitude physique - et dans la prière l'attitude physique importe relativement peu. Tout est dans le cœur, mais justement cette attitude physique traduit bien quelle doit être l'attitude de cœur de celui qui prie.

Debout, les pieds bien posés sur le sol... ce qui signifie que la prière exige que nous soyons un homme debout, pleinement engagé dans sa vie d'homme, un homme traversé par tous les courants qui entraînent l'humanité, soulevé par les mêmes rêves et les mêmes espoirs, déchiré aussi par les épreuves, les angoisses, les échecs que connaissent tous les hommes... fortement enraciné dans le sol de l'existence humaine,

Le visage tourné vers le ciel pour parler à Dieu de cette existence humaine à laquelle nous tenons, de ce monde dans lequel nous évoluons - car au milieu de tant d'hommes qui vivent sans connaître Dieu, qui jamais ne sauront rien de lui, nous sommes, nous les croyants, leur parole, leur voix, leur cri vers Dieu. Il semblerait que Dieu ne veuille savoir des hommes, de leur vie, de leur histoire que ce que, nous croyants, nous voulons bien en dire - et c'est pour cela qu'il nous a appelé à la foi - pour que le monde ne reste pas sans voix et que son cri puisse s'orienter vers lui.

Les paumes ouvertes vers le haut c'est à dire le cœur perméable, ouvert à l'influx de la grâce de Dieu pour qu’à travers nous, par notre médiation, cet influx gagne les zones les plus lointaines de l'existence humaine et que sous l'influence de la vitalité de Dieu s'opère peu à peu la mutation secrète qui fera de ce monde le Royaume de Dieu, l'univers de la gloire de Dieu.

Mes frères, tous, moi comme vous, sommes infidèles à cette fonction de Prière et à laquelle pourtant nous sommes appelés,

Pendant ces jours de vacances, le monde va nous paraître plus beau. Débarrassés d'une part de nos soucis nous allons connaître de nouveaux visages, admirer de nouveaux paysages.

Puissions-nous chaque jour trouver un peu de temps pour présenter à Dieu ce monde de nos émerveillements et capter en nous la puissance transformante qui fera de ce monde menacé de devenir une caverne de brigands une maison de prière, c'est-à-dire le monde de la gloire de Dieu. Amen.

Homélie précédente Table Index Homélie suivante