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Pierre Bellégo

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Homélies prononcées en l’église Saint-Sulpice à Paris. 1968-1974

13/ DIMANCHE DE LA TRINITÉ. 24 Mai 1970

Ex 24,3-8. He 9,11-15. Mc 14,12-16.22-26.

Institution eucharistique. Sang de la première Alliance avec Israël. Sang du Christ.

Je n’ai pas pu vérifier mes références, mais c’est à Voltaire n'est-ce pas que nous devons cette remarque désabusée: « Dieu a fait l'homme à son image et l'homme le lui a bien rendu ». Il est vrai que nous avons une malheureuse propension à tout ramener à notre taille la plus petite. Plus les réalités sont élevées exigeantes, essentielles, plus, d'instinct, nous tendons à les rabaisser, à les simplifier jusqu'à les dénaturer. C'est déjà vrai hélas de l'amour humain, c'est encore plus vrai, hélas de cette réalité qu'est Dieu.

À peine osons-nous aujourd'hui parler encore de Dieu tant les mots dont nous sommes obligés de nous servir portent en eux, par l'usage habituel qu'on en fait, une puissance déformante. Nous l'appelons Seigneur, Maître, Prince, Roi. Nous disons qu'il domine, que sa puissance écrase ses ennemis, que sa gloire rayonne... mots et expressions qui évoquent pour nous des réalités et des attitudes qui n'ont rien à voir avec ce que nous discernons de Dieu en Jésus-Christ dans l'Évangile.

Or finalement nous ne connaissons vraiment Dieu qu’en Jésus-Christ, et plus encore par ce qu'il est et ce qu'il fait que par ce qu'il dit. Car il est en lui-même Parole de Dieu avant même de prononcer des paroles sur Dieu.

En Jésus-Christ Dieu est saisi d'abord comme celui qui s’appauvrit: il ne reste pas enfermé dans sa distance et sa différence, mais il vient vers nous. Il ne s'accorde (s’accroche ?) pas à ses privilèges ni à sa supériorité: il est faible comme un enfant, pauvre comme un ouvrier, dépendant comme un serviteur, méprisé comme un condamné, anéanti comme un mourant. Et même ressuscité et glorieux, disons-nous, serviteur de ses apôtres il préparera pour eux sur un feu de braises les poissons du repas, Il quêtera de la nourriture, offrira aux regards des disciples des mains percées et un coté déchiré.

En Jésus-Christ Dieu est saisi comme celui qui tend vers le partage jusqu'à l'universelle communion dans un même esprit. Par sa naissance il se situe dans une lignée, il entre dans une famille. Dès qu'il grandit, il assume les solidarités d'une religion, d'un métier. Quand il entre dans la vie adulte, il groupe autour de lui une équipe de compagnons. Quand il agit de façon étonnante c'est pour remettre dans le circuit de la vie sociale ceux qui, aveugles ou paralysés, en étaient séparés par leur infirmité. C'est pour tenir groupés ceux que la faim allait disperser, c'est pour faire rentrer un enfant dans la tendresse de sa mère, pour réintégrer Lazare dans l'affectueuse trinité de Béthanie. Quand il parle c'est pour donner comme unique règle de conduite celle de l'amour paternel. Et quand, librement, il donne sa vie, quand il meurt c’est pour attirer tout à lui, c'est pour que soient rassemblés dans l'amitié les hommes divisés.

En ce Dieu, tel que nous le connaissons en Jésus-Christ, la réflexion chrétienne allait d'abord reconnaître sans difficulté celui qui déjà s’était manifesté dans l'histoire d'Israël, celui qui s'était compromis avec un peuple, celui qui avait fait alliance avec une maigre tribu nomade engageant ses ressources pour que, peu à peu, elle devienne un peuple réuni par sa loi et la communauté d'un destin dont il se portait garant.

Appuyée sur ce qui avait été vu, touché, entendu de Dieu en Jésus-Christ, la réflexion chrétienne allait peu à peu découvrir son trésor, en expliciter les richesses et arriver à l'expression de sa foi en Dieu en disant qu'il est Père, Fils, Esprit, réunis dans une indivisible Trinité. Unité dont la richesse infinie est faite de la pauvreté essentielle de chacune des personnes qui n'ont de sens, d'existence comme personnes que dans la relation absolue qui les aspire l’une vers l'autre.

En même temps qu'elle poursuit son effort d'élaboration théologique la foi nous met en garde contre l'ivresse de la théologie qui risque de traiter Dieu comme un objet de connaissance à l'égard duquel il faut prendre de la distance pour pouvoir en faire le tour, pour pouvoir le comprendre.

Or, celui qui est essentielle communion, ne peut être connu que dans la participation à cette communion. Toute distance pervertit la connaissance que nous prétendions avoir.

Aussi, pour le croyant comme pour l'Église, mère et pédagogue de la foi, les lois d'une vraie connaissance de Dieu sont-elles commandées par la nature même de celui que nous voulons connaître.

Parce qu'il est pureté et pauvreté absolue je ne le connais que dans le mouvement qui m'appauvrit de moi-même.

C'est au moment où il quittait sa famille et le pays de ses pères qu'Abraham eut la révélation de Dieu.

C'est alors qu'il s'avançait pieds nus sur la terre nue vers un feu dévorant que Moïse connut le nom indivisible.

C'est dans le désert, sans ressources et sans route tracée, que le peuple fit alliance avec Dieu et reçu sa loi.

Pour s'attacher à Jésus il fallut que les disciples abandonnent leurs sécurités familiales et professionnelles, qu'ils laissent père, bateau, filet. Car, selon les béatitudes, n'entrent dans la connaissance, dans la communion béatifiante de Dieu que les cœurs pauvres qui ne cherchent même pas la richesse de la connaissance, que les cœurs purs dont l'élan d'amour ne s'arrête pas dans la jouissance d'une vérité possédée, que les cœurs qui ont faim et soif de justice, c'est-à-dire ceux qui tendent vers le don total d'eux-mêmes.

Parce que Dieu est créateur de communion universelle, le croyant comme l'Église elle-même n'entrent dans la connaissance de Dieu que dans la recherche d'une communion de plus en plus vraie et de plus en plus étendue.

Du clan dont le lien est purement physiologique au peuple rassemblé par une loi; du peuple à la nation unie dans une communauté de destin; de la nation à l'Église rassemblant tous les hommes dans la participation à l'Esprit de Dieu... telles sont les étapes de la solidarité humaine en même temps que celles de la révélation de Dieu.

Et, de même que les béatitudes proclamaient le nécessaire renoncement à la possession de soi, elles affirment ainsi que la vraie connaissance de Dieu est donnée aux humbles qui refusent de se mettre à part et au dessus, aux doux, aux artisans de paix.

Est-il vraiment besoin de le redire quand nous entrons dans l'eucharistie qui le proclame d'une manière si éclatante. Pourquoi sommes-nous ici, sinon pour entrer en communion avec Dieu, pour le connaître davantage.

Or, de quoi est faite l'Eucharistie? De pain et de vin offerts, de vie donnée et de communion fraternelle.

Que Dieu lui-même qui est don et communion nous recrée inlassablement à son image et puissions-nous ne pas trop déformer à notre pauvre image le Dieu Père, fils et Saint esprit au nom duquel nous avons été baptisés!

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