Ce site met à disposition des textes et paroles écrites de l'abbé

Pierre Bellégo

Accueil Citations Homélies TextesPlan du siteContact

Homélie précédente Table Index Homélie suivante
Homélies prononcées en l’église Saint-Sulpice à Paris. 1968-1974

17/ VINGT-SEPTIÈME DIMANCHE ORDINAIRE. 4 octobre

Gn 2,18-24. He 9,11-15. Mc 10,2-10.

Sur le mariage.

Après les lectures si nettes dans leurs affirmations, il est difficile de ne pas parler aujourd'hui du mariage et de son indissolubilité. Ce serait mépriser l’intention évidente qui a présidé à l’organisation de la Liturgie de la Parole.

Et pourtant il est bien difficile aussi d'en parler.

Il fut un temps, en effet, où le mariage, le foyer, la fidélité conjugale étaient reconnus comme les sources normales du bonheur, comme des valeurs communes à l'existence humaine auxquelles on ne renonçait que contraint par les événements ou pour réaliser une vocation religieuse.

Il n'en va plus de même aujourd'hui. C’est la stabilité qui semble étonnante, presque scandaleuse, opposée à la recherche d’un bonheur qui ne pourrait être trouvé que dans le changement et la liberté.

Pour croyants que nous sommes, nous n’échappons pas aux courants de pensée de notre époque. Comme celui de nos contemporains, notre esprit perçoit certaines valeurs nouvelles, mais d'autres, jadis évidentes, lui échappent totalement.

Notre pensée - je ne dis pas notre foi - notre pensée est ébranlée et, si nous tenons toujours à certaines attitudes comme la fidélité ou à certaines institutions comme le mariage indissoluble nous ne savons plus aujourd'hui comment en démontrer le bien-fondé de manière convaincante pour tout homme capable de réfléchir,

Devant cet homme ou cette femme qui crie son droit au bonheur, à ce bonheur qu’apporte un amour réussi, allez donc parler du bien de la société, d'un patrimoine familial à préserver ou même de l'équilibre des enfants à sauvegarder…

Dans notre monde si dur, où se ferment les unes après les autres les routes du bonheur, celle du travail épanouissant, celle des loisirs joyeux, celle des amitiés de voisinage; dans un monde où, de plus, on tend à persuader qu'il n’y a qu'un bonheur et qu'il ne se trouve que dans l'accord sensuel du couple, comment pourrait-on avancer que la stabilité d'une institution vaut plus que ce bonheur, le si précieux et si émouvant bonheur ?

Nous qui essayons de tenir fermement la parole du Seigneur et qui croyons conformément à cette Parole que l’homme ne peut séparer ce que Dieu lui-même a uni, nous voici sans armes pour la défendre contre les attaques des hommes et même sans arguments devant les hésitations de notre propre esprit.

Il ne nous reste que notre foi. Elle nous apporte il est vrai, une lumière suffisante pour soutenir les exigences chrétiennes du mariage. Encore faut-il bien la recevoir.

Tout 1’essentiel est posé quand nous disons que, pour les chrétiens, le mariage est un sacrement. C'est affirmer, en effet, que son sens et sa justification dernière doivent être cherchés non dans les lois de la biologie, ni dans l’équilibre de la société, ni même dans le besoin de bonheur, mais en Dieu lui-même et dans son dessein de salut universel. Le mariage est un signe qui parle de Dieu et de son dessein et, en même temps, un des moyens privilégiés établis par Dieu pour la réalisation de ce dessein,

Par le sacrement de mariage qui relie explicitement à Dieu l'amour d'un couple, il nous est signifié, révélé, que l'amour humain dans sa réalité la plus profonde se rattache à Dieu, possède avec lui une communauté de nature.

« Dieu est amour » dit saint Jean. Cette affirmation n'aurait pas de sens pour nous, elle serait sans force probante s'il n'y avait au milieu du monde des hommes et des femmes consacrés à l’amour et voulant délibérément faire de leur amour un signe parlant de Dieu. Mais ce signe, -l'amour-, serait mensonger, il trahirait la réalité de Dieu s'il pouvait se dénouer, se défaire, se dissoudre. Parce que leur amour qu'est Dieu et dont parle finalement tout amour humain est éternel il faut que 1e mariage porte en lui un vœu d’éternité, qu’il se situe hors des attaques du temps, qu'il se veuille et soit indissoluble.

Non seulement Dieu est en lui-même amour, mais il veut rassembler tous les hommes dans l'amour: c'est là son dessein.

Toute la Bible le révèle et nous rapporte les étapes multiples et variées de sa réalisation progressive. Mais qui lit la Bible? Des centaines de millions d’hommes se nourrissent du petit livre rouge des pensées de Mao-Tsé-Toung alors que nous chrétiens, nous feuilletons à peine le livre de la Parole de Dieu et qu’il n'est connu autour de nous que par une vulgarisation fragmentaire et souvent déformante. Mais qu’importe: il y a une autre Bible, une autre Parole de Dieu qui proclame son dessein. Cette bible c'est l’amour qui, relié à Dieu par le sacrement, révèle dans son mouvement même que l’humanité est appelée à une rencontre sans frontières . Mais comment l’amour humain dirait-il la recherche infatigable de Dieu, sa tendresse qu’aucune infidélité ne rebute, sa ténacité inébranlable dans la poursuite de son dessein si cet amour, dans le mariage, ne s’engageait dans la voie de la durée. S’il n'était prêt, lui aussi, à aller au delà d'un premier don pour connaître le pardon?

L’amour humain est donc un signe qui parle de Dieu et de son dessein; par le sacrement de mariage il devient aussi l’un des lieux privilégiés de la réalisation de ce dessein.

Dieu s’est fait homme en Jésus Christ et, parce que Jésus a pris la nature humaine, déjà, en lui, la condition humaine est sauvée, porteuse pour ceux qui l’assumeront d’une plénitude de vie.

Pourtant cette forme de salut acquise par Jésus Christ mort et ressuscité, doit être réfractée dans tous les temps et dans toutes les situations humaines: c’est la tâche des chrétiens qui vivent des sacrements. Parce qu'il y a aujourd’hui des chrétiens dont l'amour est consacré, c'est-à-dire visiblement relié à Jésus Sauveur par le sacrement de mariage, tout amour humain même imparfait, est ensemencé d’une force de salut et ceux qui s’y engagent sont mystérieusement entraînés dans l'attraction du Christ.

Pour cela, nous le savons, il ne suffît pas que soit célébré le rite du mariage, il faut que ces chrétiens acceptent de vivre leur mariage comme le Christ a vécu sa condition d'homme. Rien n'a pu le conduire à dénouer les liens qui l’attachaient à nous; ni la pauvreté de sa crèche, ni la rudesse de sa vie d’ouvrier, ni les oppositions de ses adversaires, ni la trahison de ses amis, ni les souffrances de sa passion. Son mariage avec la condition humaine fut un mariage fidèle, indissoluble. Pour sauver tout l'amour du monde il faut que l'amour chrétien cherche lui aussi à être fidèle malgré tout, malgré les épreuves et les souffrances… malgré les arguments contraires de la sagesse humaine d’aujourd'hui, nous laissant seuls ou presque à vivre de la sorte, seuls, mais avec Jésus le Sauveur.

Pour des cœurs chrétiens, dites-moi, ne serait-ce pas assez?

Homélie précédente Table Index Homélie suivante