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Pierre Bellégo

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Homélies prononcées en l’église Saint-Sulpice à Paris. 1968-1974

22/ DEUXIÈME DIMANCHE DE CARÊME. 7 mars 1971.

Gn 15,5-12. Ph 3,17-21;4,1. Lc 9,28-36.

La Transfiguration. C’est pendant qu’il priait que Jésus fut transfiguré. Prière du « notre Père » et salut du monde, donné et sans cesse à demander.

« Et, comme il priait, l'aspect de son visage changea ».

À la source de la Transfiguration qui, pour quelques instants, fit apparaître sur le visage de Jésus un signe sensible de sa divinité et de son caractère de Fils, il y a donc la prière. C'est pour prier, en effet, qu'il gagna la montagne ayant pris avec lui Pierre, Jean et Jacques. C'est pendant qu'il priait que son visage et ses vêtements resplendirent. Et, c'est au sortir de la prière que la nuée glorieuse de Dieu les prit sous son ombre et que se fit entendre la voix qui disait: "Celui-ci est mon Fils, mon Élu".

C'est parce que la prière porte en elle une puissance de salut et de transfiguration que l'Église nous impose à nous qui sommes appelés à la foi, le devoir de prier. C'est pour cela qu'elle nous confie la "fonction" de prier.

Il peut nous arriver à nous, chrétiens, de perdre le sens de notre foi chrétienne et de notre appel à la foi, mais l'Église, elle, ne peut errer dans la prise de conscience d'elle-même et de sa vocation. Elle ne peut donc oublier, complètement, ni longtemps, que sa seule raison d'être, son seul but, c'est le salut du monde. Aussi, poussée par l'Esprit Saint, elle travaille de multiples façons à réveiller dans chacun de ses membres, en chacun de nous, la conscience de leur vocation. Nous ne sommes chrétiens que pour être les ministres, les instruments du salut du monde. Aujourd'hui encore, dès la première lecture, elle nous rappelle que nous sommes appelés par Dieu comme le fut Abraham. Et si nous sommes appelés c'est que, par nous, par notre ministère, la multitude des hommes, plus épaisse et dense que ce tissu serré d’étoiles qui flottent aux limites inaccessibles de l’univers, entre à jamais en possession de la terre opulente que Dieu nous propose et qui n'est autre que son amour infini, librement partagé. Nous n’avons été élu avant la création du monde, nous ne sommes apparus dans le lent déroulement du temps et en un point limité de l'espace, nous n'avons été amenés à la foi par un jeu concertant de circonstances que pour ce but: qu’un jour, contemplant l'humanité arrivée enfin au terme de sa lente maturation, indissolublement reliée au Christ, enveloppée, comme lui, de la nuée glorieuse, Dieu puisse proclamer: voici mon bien-aimé, mon élu. C'est pour cela que nous sommes faits. C'est pour cela qu’incompréhensiblement, nous sommes et demeurons des croyants. Et c'est à cause de cela que sans cesse, mais plus particulièrement dans le temps de Carême, l'Église nous demande de prier, comme Jésus le fit sur la montagne au moment de sa transfiguration.

Car, ce salut du monde, si nous en attendons la manifestation, nous devons dire qu'il est pourtant déjà au travail de réalisation dès lors qu'un croyant se met à prier. Toute prière, en effet. quelle que soit sa forme, sa longueur, use de mots ou s'enveloppe de silence; toute prière finalement se résume en ces mots que Jésus a confiés à la mémoire de son Église et que l'Esprit Saint, selon saint Paul, murmure au cœur de chaque croyant: notre Père.

Dire « notre Père » en vérité, c'est d'abord ressaisir dans sa pensée et dans son cœur tous ces vivants qui sont notre vie, qui nous sont reliés par les contacts de l'existence, par les liens de la tendresse familiale, de l'amitié et des solidarités de travail, du compagnonnage de loisirs. Et, il faut aller jusque chez ceux qui nous sont reliés par le simple partage de la condition humaine. Dire « Notre Père » c'est ressaisir ainsi tous ceux dont je peux être le représentant, le délégué, tous ceux qui, à un titre ou à un autre, ne font qu'un avec moi, et les inviter à l'imprégnation vivante, à l'envahissement de celui que, dans la foi, je reconnais comme Père, c'est à dire: source inépuisable de vie, communication incessante d'une vitalité infinie et sans limite. Alors quand, dans une intériorité intime et grave, j'accomplis ce geste d'oblation; quand dans une foi réfléchie, je donne sens à ce geste en disant seulement ces deux mots "notre Père", alors, je le crois, la prière est immédiatement exaucée. Dieu envahit de son Esprit cette part du monde, cette terre que je lui présente et là, invisiblement mais réellement, comme au ciel son nom est sanctifié, son royaume vient, sa volonté est faite; déjà le pain nous est donné, le pardon accordé et le mal perd de ses droits sur nous. Déjà c’est fait et c’est pourquoi ma prière, avant d’être une demande, est une affirmation. Si elle se fait demande c’est parce que je sais la fragilité de notre condition d’hommes, que rien pour nous n’est définitivement acquis et qu’il nous faut toujours espérer ce qui déjà pourtant nous a été donné. Si elle se fait demande, c’est que je sais l’opulence infinie de Dieu et que ni lui, ni nous, ne nous contentons de ce qui aujourd’hui nous est donné et que nous attendons un pain encore plus substantiel, une lumière à la fois plus douce et plus éclatante encore. Si elle se fait demande c’est parce que je voudrais que celui qui déjà existe ne reste pas si profondément caché, si inaccessible mais que d’une manière ou d’une autre se renouvelle la transfiguration, qu’au moins le visage de l’Église devienne autre, que son vêtement s’éclaire, que se fasse entendre l’écho lointain de la voix qui affirme: « Celui-ci est mon fils, mon Élu ». C’est parce que je voudrais tant que nous soyons nombreux à mieux entendre cette voix et à l’écouter.

Après saint Paul, l’Église aujourd’hui nous supplie: frères bien aimés, tenez bon dans le Seigneur, tenez bon ce monde des hommes qui est le nôtre, tenez-le bon dans le Seigneur.

A chaque instant, dans le calme d’une église ou le mouvement d’une foule, dans la solitude de votre chambre ou dans le lieu de culte où vous pouvez entrer, au cœur même du monde disons, répétons: « Notre Père ». Et, pendant que nous prierons ainsi, croyons-le, car nos yeux aujourd’hui sont encore aveugles à cette transfiguration, croyons-le, le visage de ce monde deviendra tout autre. Amen.

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