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Pierre Bellégo

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Homélies prononcées en l’église Saint-Sulpice à Paris. 1968-1974

34/ CINQUIÈME DIMANCHE DE CARÊME. 19 mars 1972.

Ez 37, 12-14. Rm 8, 8-11. Jn 1, 1-45.

La résurrection de Lazare.

Lorsque nous sont offerts des textes aussi simples que ceux que nous venons d'entendre, il est bien évident que nous ne pouvons pas tout retenir... Des phrases pourtant touchent notre cœur et se fixent dans notre mémoire. Ce ne sont pas les mêmes pour tous, bien sûr. Et ce serait merveilleux que nous puissions nous communiquer ce que chacun de nous a conservé en son cœur. Il y aurait là un geste de communion beaucoup plus signifiant que ne l'est le rite de Paix que nous essayons de nous donner avant de venir recevoir en communion le Corps du Christ.

Pour aujourd'hui, permettez que je vous dise les passages qui, les jours derniers en étudiant ces textes et tout à l'heure en les entendant à nouveau, m'ont le plus frappé.

D'abord, dans le texte d'Ezéchiel, l'affirmation de Dieu à son peuple: «Je vous installerai sur votre terre...» Puis, dans l'Évangile, l'appel de Jésus transmis par Marthe à Marie: «Le maître est là et il t'appelle». Son commandement impérieux: «Lazare; sors, viens dehors. Et, à ceux qui l'entouraient: «Déliez-le et laissez-le aller».

Ce sera sur ces quelques phrases que nous méditerons.

Il faudrait sans doute avoir été cultivateur, fermier, avoir consacré pendant des années son labeur, sa vie pour faire valoir une terre, comme on dit chez moi; c'est-à-dire pour la rendre meilleure, plus féconde, et se voir tout à coup enlever cette terre parce qu'elle appartient au propriétaire lointain et non à celui qui s'est dépensé pour la cultiver, il faudrait avoir fait cette expérience pour sentir tout ce qu'a de merveilleux la promesse de Dieu transmise par Ezéchiel: «Je vous installerai sur votre terre...»

Mais il n'est pas nécessaire d'être passé par là, il suffit d'être homme. Nous le savons bien: la terre sur laquelle nous sommes n'est pas notre terre; le monde dans lequel nous vivons, n'est pas notre monde.

Continuellement nous sommes dépossédés par l'intervention de forces mauvaises, hostiles. Tantôt ce sont les cataclysmes, tantôt des hommes qui se font ennemis, tantôt, au cœur de nous-même, des forces indomptées, orgueil ou sensualité, que Saint Paul appelle la chair et qui nous interdisent la paix du cœur.

De ces forces mauvaises nous essayons de nous protéger.

C'est pour cela que, depuis la caverne primitive jusqu'à l'immense tour Montparnasse, l'homme s'est construit des abris, des maisons.

Qu'elles sont émouvantes nos maisons !

Elles disent nos rêves: avoir un coin de terre qui soit notre terre, avoir un endroit où nous soyons chez nous dans un monde ramené à notre taille où les forces sauvages de l'univers: le feu, le vent, la foudre, le torrent, les passions aveugles, contenues et comme apprivoisées soient mises au service d'une tendresse à épanouir, d'un bonheur à bâtir... Elles disent nos rêves, mais elles avouent aussi nos peurs et notre désespoir. Nous ne les édifions que parce qu'il nous faut renoncer à vivre dans le monde: il est trop immense, trop sauvage, trop cruel pour nous.

Toute maison est un aveu: nous savons qu'elle n'est qu'un abri temporaire, que c'est la terre qui l'emportera, que c'est elle qui sera notre dernière demeure, notre tombe. Maison ou tombe, chacune à sa manière manifeste que nous ne sommes pas sur notre terre, que nous sommes étrangers dans le monde, prisonniers de l'angoisse et de la mort.

Or, l'évangile, aujourd'hui, nous montre Jésus devant une maison: celle où habitent ses amies Marthe et Marie, celle où habitait Lazare qu'il aimait. Elle est devenue la maison du deuil, de la peine et des larmes. Marie s'y est enfermée, captive de la souffrance du présent et de sa crainte de l'avenir. Mais Jésus lui fait dire: «Le Maître est là et il t'appelle». Il la fait sortir de cette maison décevante qui n'a pu protéger ni de la mort ni de la peine et il la fait s'avancer au milieu du monde et le sauve. Quelques instants plus tard, il sera devant une tombe, celle de Lazare. Mais sur son ordre: «Lazare, viens dehors!» celui-ci en sort vivant et, ses bandelettes dénouées, s'avance lui aussi vers le monde.

Jésus nous est donc présenté comme celui qui nous arrache à nos angoisses et celui qui nous arrache à la mort.

Volontiers nous mettrions ces affirmations au futur et nous dirions: «Jésus est celui qui nous arrachera à nos peurs, il est celui qui nous arrachera à la mort». Nous adopterions alors l'attitude de Marthe répondant à Jésus qui lui déclarait: «Ton frère ressuscitera!» - «Oui, il ressuscitera, à la résurrection, au dernier jour»

Mais, ne voulant pas la laisser dans l'illusion, Jésus, lui, la ramène au présent: «Je suis la Résurrection...» Et il lui indique la clé qui lui ouvrira cette part inaccessible du présent: « Si tu crois, tu verras -tu vas voir- la Gloire de Dieu ». C'est-à-dire, Dieu à l'œuvre avec puissance pour communiquer, faire partager sa vie.

À nous aussi il est dit: «Si tu crois, tu verras». Oui, mais seulement à travers l'opacité des signes que nous offre la vie et que souligne le miracle de Lazare. Partout où des hommes sortent de la peur qui les aliène: peur des puissances indomptées de l'univers, peur de l'hostilité des autres, peur de leur propre mystère, nous pouvons dire que la puissance vivifiante de Dieu est à l'œuvre en eux et saluer dans ces signes le reflet de la gloire de Dieu.

Chaque fois que les hommes se débarrassent, comme Lazare de son suaire et de ses bandelettes, des servitudes qui les ligotent, à chaque fois je dois, moi croyant, reconnaître et saluer la présence de la gloire de Dieu. Non pas que la libération politique ou sociale se confonde avec la liberté spirituelle que Dieu donne à l'homme ou qu'elle en épuise toutes les possibilités mais elle est l'émergence au niveau du politique ou du social de la liberté inépuisable qui est l'apanage de l'homme participant à la vie du Christ ressuscité.

Et c'est pourquoi, voir la Gloire de Dieu, c'est aussi être entraîné dans son mouvement, en devenir le collaborateur et travailler à faire sortir les hommes des casernes de la crainte et des tombes de la solitude.

C'est parce que, dans la foi, je vois la Gloire de Dieu, je vois ce qu'elle est, que je travaille à libérer et à nous réunir.

Que ce soit dans l'acte liturgique quand j'essaie de le faire devenir, depuis le partage de la Parole jusqu'au geste de paix, ce qu'il est vraiment: une libre communion; que ce soit dans la vie sociale ou politique quand je milite pour qu'elle ne soit plus opprimante mais qu'elle devienne par la discussion et le partage des responsabilités un lieu de liberté; à chaque fois que je fais avancer vers la communion dans la liberté, je suis un témoin de la Gloire de Dieu.

Peut-être pourrions-nous garder dans notre mémoire au terme de cette méditation la parole de Jésus aux amis de Lazare: «Déliez-le et laissez-le aller».

Elle est toute proche cette parole de celle que nous entendrons à la fin de la Messe: «Allez dans la paix du Christ !» Quand un homme est libéré de ses entraves, quand il va, ce n'est pas vers une terre étrangère qu'il s'en va mais vers sa Terre. C'est toujours dans la Paix du Christ qu'alors il avance. Amen.

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