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Pierre Bellégo

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Homélies prononcées en l’église Saint-Sulpice à Paris. 1968-1974

40/ TRENTE-DEUXIÈME DIMANCHE ORDINAIRE. 12 novembre 1972.

Sg 6,12-16.1Th 4,13-18.Mt 25,1-13.

Les vierges qui veillent et les vierges qui dorment.
Demeurons éveillés dans une attente confiante.

Les lectures d'aujourd'hui laissent supposer l'existence de beaucoup d'inquiétude et de souci dans les cœurs et les esprits. Il fallait bien que les disciples s'inquiètent des circonstances de la venue de Jésus pour qu'il leur dise afin de les apaiser: mais non, voyons, ma venue, mon Royaume, c'est comme « dix jeunes filles invitées à des noces». Il fallait bien que les chrétiens de Thessalonique s'inquiètent de la mort et du sort des morts pour que Paul leur écrive: «Il ne faut pas que vous soyez abattus comme ceux qui n'ont pas d'espérance. Ceux qui se sont endormis en Jésus, Dieu les prendra avec lui». Il fallait bien aussi que les Juifs, éloignés de leur pays, dispersés au milieu des païens, affrontés à de nou-velles conceptions de vie, cherchent avec anxiété la vraie voie de la vie, pour que l'auteur du livre que l'on appelle «livre de la Sagesse» leur parle justement de cette sagesse qui apparaît, dit-il, au détour des chemins avec un visage souriant.

Ces inquiétudes et ces soucis, nous les connaissons bien, ce sont les nôtres. Nous aussi nous voudrions bien trouver une référence dernière, une attitude de vie fondamentale et simple qui nous établirait dans la paix, au delà de tous soucis. Nous aussi, à quelques jours de la fête des morts, au lendemain du 11 novembre qui nous a remis en mémoire les hécatombes des dernières guerres, nous éprouvons le scandale et l'angoisse de la mort. Et, quand nous examinons le monde et son cours, nous sommes bien amenés à nous demander: «A quoi tout cela pourra-t-il nous mener?» Nous nous posons des questions. Donc, nous sommes disposés à entendre la réponse de l'Évangile. Celle-ci est toute simple. Derrière l'évolution qui nous effraie, derrière la mort qui vient consacrer les solitudes de la vie, derrière la vie où tout effort semble voué à la stérilité, ce qui existe en fait c'est une réalité féconde, amicale, marquée d'un caractère de fête. La vie en son fond, nous dit l'Évangile, c'est comme dix jeunes filles invitées à des noces. La réponse est toute simple. Pourtant, faisons attention; nous pourrions, cette réponse, la rendre faussement simple, simpliste. Et cela en la saisissant seulement par notre intelligence avide de résoudre théoriquement les problèmes. Tant qu'une affirmation n'est que saisie, possédée, par l'esprit qui veut devenir riche et se gonfler de connaissances nouvelles, cette affirmation est peut-être théorie, elle n'est pas encore vérité. Elle le deviendra quand, accueillie silencieusement par toutes les forces de la personne: sentiments, cœur, volonté, elle les libérera et les fécondera pour les décisions et les engagements de l'amour. Alors nous ne sommes plus ni dans la théorie, ni dans la science, mais nous avons rencontré la Sagesse. Or l'Évangile ne mérite son nom, il n'est «bonne nouvelle» que lorsque, dépassant le niveau de la science et de la théorie, il devient pour nous sagesse de vie. C'est pour cela que le lieu privilégié pour recevoir l'Évangile, c'est la célébration eucharistique où déjà nous vivons ce que nous entendons. Ici, en effet, les voilà les réalités de la vie: le pain, le vin, un rassemblement d'hommes et de femmes. Les voilà les réalités de la vie sous leur forme pauvre et décevante: quelques grammes de pain… qui pourrait s'en nourrir? Quelques gouttes de vin… qui pourrait y trouver sa joie? Un groupe d'hommes dont le lien qui les unit est si mince que nous sommes plus sensibles à nos différences qu'à nos ressemblances. Mais, ici, voici que ces réalités, tout à coup, laissent transparaître le trésor fécond qu'elles portent en elles. Le pain devient le Corps du Christ, pour la vie du monde. Le vin devient Sang versé pour l'Alliance, nouvelle et éternelle, et notre groupe devient l'Église sans tache, ni ride, ni rien de semblable, assemblée par un lien éternel. Ici, les jours se font Dimanche, ce huitième jour où l'éternité éclate au cœur du temps. Ici, la vie devient fête. Ici, nous savons qu'au bout de l'avenir, comme au creux du présent, nous atteignons la réalité pour laquelle nous sommes faits: le Royaume de Dieu. Nous vivons, ici, l'affirmation de l'Évangile qui nous dit que ce Royaume de Dieu c'est comme dix jeunes filles invitées à des noces.

La célébration eucharistique est un lieu exceptionnel pour entendre l'Évangile. Parce qu'elle est déjà l'Évangile vécu, c'est vrai, mais là aussi l’exception ne devrait que confirmer la règle. Et la règle c'est que le lieu normal où l'Évangile doit devenir vérité, c'est la vie. C'est là, dans la vie, que nous devons découvrir qu'il y a le Royaume, et que le Royaume c'est comme dix jeunes filles invitées à des noces. Comment le ferons-nous? Essentiellement, en sachant attendre. Attendre en faisant patiemment confiance aux êtres et à la vie. Confiance patiente dont la forme la plus simple sera de s'interdire jugement et condamnation. Ce jugement qui interdit et qui bloque tout progrès et tout devenir possible. Attendre en faisant aux êtres et à la vie une confiance active, à l'image de cette lampe, dans la nuit, qui sans cesse arrache les visages à l'obscurité, les fait naître aux regards, réunit ce que les forces nocturnes s'acharnent toujours à séparer. Attendre en faisant aux êtres et à la vie une confiance inlassable, car nous nous endormons, nous laissons tomber notre veille et il nous faut reprendre après les périodes de lâcheté, de sommeil, malgré notre propre veulerie et les échecs, reprendre notre veille et notre effort. Telle est la sagesse de l'Évangile. Elle est folie aux yeux des hommes, car personne ne porte en soi les ressources suffisantes pour une si longue veille. Folie pour les hommes, mais non pour Dieu dont l'Esprit nous habite. Depuis notre baptême nous avons été marqués par l'huile sainte, depuis notre confirmation où cette onction nous a été renouvelée, l'Esprit est en nous comme une huile intarissable. Si, dans le silence de la prière, nous nous laissons imprégner par lui, nous pourrons veiller activement et la vie finira bien - ainsi que le promettait le livre de la Sagesse - par nous apparaître au détour des sentiers étroits, avec un visage souriant. Amen.

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