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Pierre Bellégo

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Homélies prononcées en l’église Saint-Sulpice à Paris. 1968-1974

41/ DIMANCHE DU CHRIST-ROI. 26 novembre 1972.

Ez 34,11-12.15-17. 1 Co 15,20-26.28. Mt 25,31-46.

Fin des temps et Jugement dernier. La perspective de la Fin des temps ne doit pas nous détourner de notre vocation d’être dans le présent des créateurs de communion.

De toute évidence, les textes d'aujourd'hui entraînent notre réflexion vers la fin des Temps où, nous disent-ils, le mouvement de l'histoire aboutit à la manifestation glorieuse du Christ comme le déroulement de l'année liturgique nous conduit de dimanche ordinaire en dimanche ordinaire, à la fête du Christ Roi que nous célébrons aujourd'hui.

Et il est important pour nous d'apprendre ainsi que la vie n'est pas un émiettement d'instants, mais qu'elle a un mouvement; que ce mouvement n'est pas stérile et re-fermé sur lui-même comme un cercle, mais qu'il se déploie, qu'il est une histoire qui avance; que le terme de cette histoire n'est pas une chute dans l'abîme, mais le triomphe du Christ sur la mort, l'épanouissement éternel de la vie. C'est cette certitude qui nourrit notre espérance.

Mais le courant des textes d'aujourd'hui ne s'arrête pas là. Il ne nous fixe pas dans la seule attente - même confiante - des derniers temps. Dessinant une sorte de boucle, comme le font certains fleuves, et gardant dans ses eaux la lumière de cette vision d'avenir, il nous ramène au plus profond de l'instant présent. Finalement l'évangile de ce dimanche nous enseigne que si le Christ est au bout de l'avenir, au terme de l'histoire, c'est parce qu'il est présent au creux de la vie, au plus profond de l'aujourd'hui. Il serait donc vain d'espérer une rencontre miraculeuse au terme d'un déterminisme historique et d'un mouvement inéluctable du temps, si nous ne bâtissons pas nous-même notre aujourd'hui de telle sorte que le Christ y soit réellement rencontré, car il dépend de nous que chaque moment de notre vie nous établisse de fait et réellement dans la communion du Christ. Et comment ? Quand nous dépassons un peu l'aspect anecdotique des événements - de ces événements multiples qui composent une vie - nous remarquons que finalement tous nous proposent un choix. Ils deviennent, par l'engagement de notre liberté, acceptation ou refus d'une communion.

L'Évangile d'aujourd'hui nous parle de ceux qui ont faim ou soif, qui sont démunis, étrangers, malades, prisonniers. Or, ces catégories diverses ont toutes un dénominateur commun. La soif, la faim, la maladie, la captivité enferment l'homme dans la solitude. Et tous, d'une manière ou d'une autre nous sommes seuls, solitaires. Ce qui importe ce n'est pas finalement d'assouvir la faim, d'apaiser la soif, de guérir la maladie, mais, en donnant à manger ou à boire, en soignant le malade de changer son dénuement qui de par sa nature est solitude, de le changer en un lieu de communion. Le pire pour celui qui a faim n'est pas sa faim, mais c'est, qu'ayant faim, il se fasse loup, agressif et solitaire. En lui donnant à manger ce n'est pas sa faim que j'apaise; dans quelques heures elle renaîtra, mais j'entre moi-même en m'appauvrissant dans la communion de son dénuement. Ce n'est pas mon pain seulement que je lui partage, c'est sa faim que je connais; sa solitude devient alors rencontre. Quand je visite l'étranger, il reste étranger, mais sa différence n'est plus excommunication. Parce que à chaque instant la vie est confrontation de solitudes, elle m'invite aussi à chaque instant à devenir créateur de communion. Or, et c'est la révélation éblouissante et accablante de l'Évangile, toute communion de vie est dans sa substance même communion au Christ Jésus. L'acte par lequel je m'appauvris, je meure à moi-même pour rencontrer l'autre est comme une consécration: par une sorte de transsubstantiation il fait de cette communion humaine le lieu d'une communion réelle au Christ Jésus.

Et nous qui nous disons croyants, nous voilà alors ramenés une fois de plus, et comme malgré nous, sur les voies authentiques de la foi. Le vrai chemin qui conduit à Jésus-Christ ne passe pas d'abord par la connaissance de la doctrine catholique, ni par celui de la contemplation à la manière des grecs ou des hindous, ce sont là des détours. Le vrai chemin s'avance tout droit dans la communion recherchée avec les hommes. Là, Jésus-Christ est de fait et réellement rencontré. Et c'est là, si la foi m'est donnée, que je le reconnaîtrai, non pas comme une valeur surajoutée, mais comme le centre attractif auquel jusque là je ne pouvais donner ni un nom ni un visage. Croire, ce sera alors chercher, coûte que coûte, comme avant, la communion avec les autres, mais en osant maintenant prononcer silencieusement le nom de celui qui en est l'origine et la source secrète: Jésus.

La fête d'aujourd'hui nous rappelle que croire en Jésus-Christ, c'est encore autre chose, difficile, il est vrai, à expliquer. Les textes nous montrent Jésus exerçant le jugement. Et voici qu'à ce mot, d'instinct nous tremblons, car pour nous, le jugement est lié à la condamnation. Mais dans toute la tradition biblique, et dans cet évangile, le jugement n'est pas condamnation de coupables, mais intervention souveraine de la puissance de Dieu pour conduire les êtres à leur point absolu de perfection, pour introduire dans la justice, c'est-à-dire l'épanouissement inimaginable de la vie, pour transmuer le monde en terre nouvelle et cieux nouveaux où, selon la promesse apportée par saint Pierre, habitera la justice.

Cette puissance de jugement, Jésus la partage avec ceux qui croient en lui. Il nous a dit que ceux qui répondent à son appel jugeront les tribus d'Israël. Il nous a dit que tout ce que nous lions sur la terre est lié dans le ciel. Nous savons alors que notre vie est comme une liturgie et que le pain de nos communions humaines est pain de vie et que le vin de nos fêtes humaines est vin de joie éternelle. Aussi lui rendons-nous grâces car il nous a appelés, selon les termes mêmes de la prière eucharistique, à servir en sa présence. Servir, non pas comme simples ministres d'un rite liturgique, mais comme célébrant d'une immense liturgie cosmique dont l'offertoire soulève l'univers et dont la communion est communion infinie et éternelle dans l'unité du Christ.

Voilà ce que j'aurais aimé vous rappeler et vous faire comprendre aujourd'hui: que Jésus est présent dans la communion de la vie et qu'il donne à ceux qui croient en lui d'exercer avec lui le jugement, c'est-à-dire de transformer les communions limitées de la vie en communions infinies et éternelles.

Et je terminerai par une prière. Celle de saint Paul écrivant aux Philippiens: Voici ma prière: Que notre charité, croissant toujours de plus en plus, devienne clairvoyante et nous permette de discerner ce qui est bien et de nous rendre purs et irréprochables pour le jour du Christ.

C'est aujourd'hui, dans la pleine maturité de ce fruit de justice, que nous portons par Jésus-Christ, pour la gloire et la louange de Dieu. Amen.

Proposition: Que notre charité, croissant toujours de plus en plus, devienne clairvoyante et nous permette de discerner ce qui est bien et de nous rendre purs et irréprochables pour le jour du Christ. Et ce jour, c’est aujourd’hui, dans la pleine maturité de ce fruit de justice que nous portons par Jésus-Christ, pour la gloire et la louange de Dieu. Amen.

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