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Pierre Bellégo

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Homélies prononcées en l’église Saint-Sulpice à Paris. 1968-1974

43/ QUATRIÈME DIMANCHE DE L’AVENT. 24 décembre 1972.

1S 1, 1-5.8b-11.6. Rm 16,25-27. Lc 2,26-38.

L’Annonciation.
Significations de la virginité de Marie.

Bien que nous en soyons tout proche, ce n'est pourtant pas encore Noël. Le chant des anges annonçant la joie et la paix, c'est cette nuit que la liturgie l'évoquera. Maintenant, en ce jour de vigile, c'est encore au silence et au recueillement que nous sommes invités.

L'enfant Jésus, sorti du sein de sa mère et commençant son existence de personne autonome, c'est cette nuit aussi que l'Église nous appellera à le contempler.

Aujourd'hui, c'est sur sa mère, sur Marie, que se fixe notre attention. Sur elle qui, par une disposition étonnante, est à la fois vierge et mère. La maternité virginale de Marie, il nous faut bien en comprendre la valeur et la signification. Trop souvent on a pris prétexte de ce fait mystérieux pour déprécier les réalités du corps, de la sensualité, de l'amour et privilégier, en contre partie, la virginité et le célibat. Cette attitude de mépris à l'égard du corps n'a rien, je crois, d'évangélique. La loi de l'Évangile c'est d'aimer, c'est-à-dire de consacrer les forces de sa personne pour essayer de rendre plus belle, plus ample, plus heureuse la vie des autres, d'un autre ou d'une autre. Or, comme l'homme est corps et esprit, la forme la plus spontanée, la plus naturelle, la plus humaine de l'amour sera celle où s'engagent les forces du corps aussi bien que celles du cœur et de l'esprit. En cette perspective, la virginité qui se définit par le refus de mettre en jeu les puissances profondes du corps, la virginité ne peut être considérée comme une valeur. Elle est dénuement. Elle est limite. Et, en cela elle est très semblable à la pauvreté. Car Dieu a créé l'homme pour être le roi de la création, pour qu'il domine et possède l'ensemble des biens créés et qu'il atteigne par là au plein développement de sa personne. L'homme est créé, non pour être privé, mais pour être comblé. La pauvreté, comme la virginité est un dénuement et une limite. Mais dans le monde, tel que nous le voyons, ces dénuements-là sont la loi de l'existence d’une multitude d'hommes. Il y a, nous le savons, beaucoup plus d'hommes privés de biens que d'hommes comblés. Et pourquoi? Parce que ceux, individus ou nations, qui ont reçu les biens donnés pour édifier dans le partage la communauté humaine, ceux-là entraînés par un instinct perverti ont perverti les biens, les ont dénaturés jusqu'à en faire, non plus des liens qui unissent, mais des montagnes qui séparent: ce que l'Évangile appelle Mammon, la richesse trompeuse, âprement convoitée, âprement défendue.

De même il y a relativement peu d'hommes qui trouvent un bonheur durable, comblant dans la rencontre amoureuse. L'insistance même avec laquelle aujourd'hui on parle du plaisir, comme on parlait autrefois des repas opulents devant les rutabagas de l'occupation ou de la captivité, l'insistance avec laquelle on en parle laisse supposer que ce plaisir doit être un rêve lointain et difficilement accessible. Et pourquoi? Parce que le cœur perverti que nous portons en nous pervertit ces biens du plaisir, les vide de toute la puissance de tendresse et de communion généreuse dont ils sont porteurs, et les dénature, jusqu'à en faire un pouvoir dominateur et méprisant.

Affrontés à cette situation humaine où, au mépris de la volonté de Dieu, il y a plus de misérables que de comblés, des hommes et des femmes, inspirés par l'esprit de Dieu, poussés par un profond amour de l'homme décident de rejoindre la grande masse dans son dénuement. Ils se font pauvres avec les pauvres, pour que là où la misère porte fatalement des fruits de haine, il y ait pourtant une semence d'amour et de communion. C'est l'amour qui les porte, non à aimer la pauvreté, mais à partager le sort inhumain des hommes pauvres. Cet amour est si profond et si grand qu'il gagne le cœur de ceux qui possèdent et permet que les biens qu'ils tiennent entre leurs mains ne se dégradent pas fatalement en richesse convoitée, en argent trompeur, en Mammon d'iniquité, mais qu'ils puissent garder leur destination, leur vocation au partage.

La pauvreté voulue, et choisie, sauve les biens, lieu de communion, de la dégradation en richesse: arme de division.

De la même manière un profond amour peut pousser des hommes et des femmes à partager, par la chasteté, le dénuement de ceux qui souffrent de l'échec ou de la privation de l'amour. Ils choisissent d'être avec eux, pour que dans cette situation humaine anormale, qui secrète fatalement la rancœur et le mépris, il y ait pourtant une semence d'amour et de communion. L'amour qui les porte à ce choix est si fort qu'il marque les élans de tout amour humain, qu'il les délivre de la pesanteur dont ils sont affectés, et permet que dans le plaisir puissent être sauvegardées les puissances de tendresse généreuse qui en constituent le cœur. Comme la pauvreté voulue sauve les biens du monde, de même la virginité consentie sauve les biens de l'amour pleinier.

Notre méditation sur la maternité virginale de Marie nous entraîne encore un peu plus loin.

Lorsque l'amour conduit à partager la condition malheureuse des hommes chassés du paradis de l'amour, ce choix est si profond que de lui-même il est un appel vivant à l'esprit de Dieu. Et là où, selon l'estimation humaine, certains semblent s'assimiler à des ossements desséchés, se vouer à la stérilité et à la mort, le souffle de Dieu fait fleurir une fécondité d'un autre ordre qui dépasse l'humain, une fécondité surnaturelle. Ceux qui, par amour, consentent à ne pas libérer en eux les forces opulentes de la vie qui se transmet, ceux-là deviennent générateurs d'une vie nouvelle en Dieu. C'est ce que nous fait comprendre, je crois, la maternité virginale de Marie. Jésus aurait pu, sans doute, naître de l'union amoureuse de Joseph et de Marie et, à nos yeux, c'eut été infiniment beau. Il n'en fut pas ainsi. Pourquoi? Nul ne saurait le dire. Peut-être aurions-nous alors été amenés à penser que l'homme est le seul artisan de son histoire et que celle-ci n'a d'autres horizons que ceux que le temps ouvre devant elle. En affirmant que Jésus est né de la Vierge et de l'action mystérieuse de l'Esprit, nous comprenons mieux que l'enfant qui vient au monde n'est pas seulement un homme, mais aussi fils de Dieu. Pas seulement artisan d'une meilleure communauté humaine, mais Seigneur d'un monde nouveau, éternel: le Royaume de Dieu. Peut-être comprenons-nous mieux que nous devons, nous aussi, faire appel à l'Esprit pour que notre vie ait toute la fécondité qu'elle doit avoir. Qu'elle soit féconde, et pour ce temps, et pour l'éternité.

Pour terminer, plaçons-nous de nouveau auprès de la Vierge Marie. Son enfant, elle ne le tient pas encore dans ses bras, il n'est, dans son corps, qu'un amas de cellules animées, ce que nous appelons un embryon. Et Dieu, pourtant, c'est déjà lié à cela. Comme il faut que les réalités humaines soient belles, et grandes, et précieuses, pour que Dieu ait voulu, ainsi, les assumer, jusque dans leur forme la plus simple, la plus élémentaire.

En cette veille de Noël, auprès de la Vierge Marie, demandons la grâce de ne jamais mépriser les réalités de la vie humaine, mais de les aimer comme les aime le Dieu qui se fait homme. Amen.

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