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Pierre Bellégo

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Homélies prononcées en l’église Saint-Sulpice à Paris. 1968-1974

44/ DIMANCHE DE L’ÉPIPHANIE. 7 janvier 1973.

Is 60,1-6. Ph 3, 2-3a.5-6. Mt 2,1-12.

L’Épiphanie, c’est l’extension aux non juifs de la promesse de salut accordé aux Juifs dans l’Alliance, avec ses exigences et son histoire. Les mages repartent dans leur vie antérieure, toujours païen mais sauvés parce qu’ils ont rencontré Jésus. L’alliance de Dieu s’établit désormais avec l’homme dans sa simple condition humaine.

Les Mages, leur étoile, leurs cadeaux, leurs chameaux par dessus le marché, tout cela, pensent certains, ne fait vraiment pas très sérieux et ils se débarrasseraient volontiers de ces récits qui leur semblent n'être que des légendes ou des contes pour enfants.

Justement, parce que nous voulons être sérieux, bien loin de rejeter de tels récits nous leurs donnerons toute notre attention pour en discerner le sens et la portée. Même s'il ne s'agissait que d'une légende ou d'un conte, nous devrions déjà le faire, car il y a longtemps maintenant que la psychologie des profondeurs nous a appris que l'inconscient des enfants ou des primitifs porte en lui des trésors de sagesse humaine et que les récits, légendes ou contes, dans lesquels ils se délivrent nous apportent souvent plus de lumières sur l'homme que ne le font bien des traités de philosophie.

Mais dans ce récit des mages il ne s'agit ni d'un conte ni d'une légende, mais en réalité d'une page de théologie très délibérément construite dans laquelle l'évangéliste projette sur l'événement Jésus, pour en définir la signification, la lumière de l'Ancien Testament. C'est bien ce qui ressort de la composition de la liturgie de la Parole qui rapproche aujourd'hui de l'évangile de saint Matthieu une page du prophète Isaïe.

Quand on entend saint Matthieu parler des mages venus de l'Orient, se dirigeant vers Jérusalem à la clarté d'une étoile et apportant avec eux comme présents de l'or, de l'encens et de la myrrhe, ou croit entendre la reprise en écho du texte d'Isaïe, lu quelques instants plus tôt. Le prophète annonçait: «debout, Jérusalem, resplendit. Les nations marcheront vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton aurore, tous les gens de Saba viendront apportant l'or et l'encens ». Nous en arrivons alors naturellement à la conclusion que Matthieu a fait comme un décalque de la prophétie d'Isaïe pour l'appliquer sur l'événement de la naissance de Jésus et faire comprendre ainsi que cet enfant était le Messie en qui s'accomplissaient les prophéties, qu'il était le Seigneur, pôle d'attraction des peuples qui en lui retrouvent leur unité, amant de l'histoire qui en lui acquiert son sens ultime. Si le texte d'Isaïe est encore trop poétique pour que nos intelligences réalistes soient convaincues de sa portée théologique, attachons-nous à celui de saint Paul. Lui n'est pas poétique, mais au contraire très didactique; et c'est dans l'intention très nette de projeter sa lumière sur le récit évangélique de la visite des Mages que la liturgie l'a placé, lui aussi, auprès de la page de saint Matthieu.

Saint Paul annonce qu'il va révéler le mystère du Christ. Du coup, nous attendons qu'il nous parle de la mystérieuse rencontre dans la personne du Christ de la nature divine et de la nature humaine, comment il est à la fois, pris dans le temps et encore éternel. Mais non, rien de tout cela. Pour Paul, le mystère du Christ qu'il veut révéler nous concerne, nous les hommes. Ce mystère c'est que, grâce à l'Évangile, les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus. Donc: plus de privilèges, plus de particularismes. Ce ne sont plus seulement quelques hommes choisis, mais tous les hommes qui doivent être sauvés. Ce n'est que justice, penserez-vous. Je vous le concède bien volontiers, mais nous n'en sommes pas quittes pour autant et à si bon compte avec saint Paul ni surtout avec le mystère qu'il révèle. Quand saint Paul parle des païens, il en parle par opposition à une autre catégorie d'hommes, les Juifs. Les Juifs ce sont ces hommes qui, pour entrer dans le salut de Dieu ont à leur disposition des moyens privilégiés: le Peuple que Dieu avait élu et avec qui il avait fait alliance, la loi donnée par Dieu pour que les membres de ce peuple puissent vivre en accord avec sa volonté, le Temple habité par sa gloire où, régulièrement, les sacrifices venaient renouer les liens de l’alliance. Les Païens, par contre, ce sont tous ceux-la qui n'ont ni le peuple, ni la loi, ni le Temple. Ils n'ont que leur vie menée tant bien que mal à coups d'expériences heureuses ou malheureuses, à la lumière incertaine d'une sagesse édifiée siècles après siècles. Et voici que ceux-la, nous révèle saint Paul, sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse. Et comment? Puisqu'ils n'ont ni Peuple ni Temple ni Loi. Comment? - par le seul fait de leur vie acceptée, conduite courageusement jour après jour à la lumière de leur conscience d'hommes. Là où, auparavant, Peuple, Loi, Temple étaient les intermédiaires nécessaires entre Dieu et les hommes, maintenant que Dieu s'est fait homme dans le Christ Jésus, il n'y a plus d'autres intermédiaires que la vie que nous avons en commun avec lui. C'est ce que nous apprend l’histoire des Mages. C'est ce que nous affirmons à chaque célébration eucharistique au moment le plus intense, celui de la consécration, quand le célébrant, reprenant les paroles que Jésus proclame: une alliance nouvelle et éternelle. Il y a eu entre Dieu et les hommes une alliance ancienne et transitoire: celle du Peuple élu, de la Loi et du Temple. Avec Jésus-Christ s'instaure un nouveau mode d'alliance, définitive cette fois et cette alliance elle s'établit dans l'acceptation de la condition humaine.

Voila pourquoi, aujourd'hui, nous pouvons parler de l'universalisme de l'Église, non pas parce que tous les hommes se relieraient à un même système religieux, mais parce que en elle la grâce se rallie à ce qu'il y a de plus simple, de plus élémentaire, de plus universel: la vie.

Dans son texte, saint Paul introduit une brève incise que nous ne pouvons pas négliger. Il écrit: «Ce mystère c'est que, grâce à l'Évangile… » Qu'entend-il par « Évangile » ? Certainement pas un livre, puisque lorsqu'il écrivait aux Éphésiens dans les années 60 aucun de ces fascicules que nous appelons évangiles n'était encore rédigé, tout au moins dans sa forme définitive. Pour lui, l'évangile c'est encore la vie, mais cette fois reconnue comme habitée par l'Esprit de Jésus et vécue en conformité avec les mouvements de cet Esprit, c'est-à-dire selon les Béatitudes. L'Évangile, finalement c'est nous, les croyants, qui nous appliquons à vivre en pensant que la vie est le lieu de l'Esprit et en essayant d'y suivre ses impulsions. Il faut qu'il y ait des hommes et des femmes qui vivent volontairement leur vie d'hommes, en commun avec Jésus, pour que tous les hommes qui sont leurs compagnons de vie soient établis en communion avec lui par le seul fait qu'ils assument délibérément leur vie et ses exigences. Il dépend donc de nous, croyants, de notre courage à vivre et de notre courage à croire que la condition humaine devienne pour tous ceux qui la partagent le lieu de la rencontre de Dieu, le lieu du salut.

Revenons à nos rois Mages. L'évangile nous dit que, avertis en songe, ils rentrèrent dans leur pays par un autre chemin, sans passer par Jérusalem, ce qui signifie, je crois qu'ils reprirent simplement leur vie antérieure, sans la surcharge de la Loi et du Temple. Mais parce qu'ils avaient une fois rencontré le Christ, tous ceux qui se trouvaient lié à eux par les liens multiples de l'existence se trouvaient, grâce à eux, rattachés au Christ et sauvés.

Les rois mages, leur étoile, leurs cadeaux, leurs chameaux, ça ne fait pas sérieux, mais en tout cas le salut de tous les hommes qui ne peut se réaliser que par notre courage à vivre et notre courage à croire, ça, c'est vraiment très sérieux. Amen.

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