Ce site met à disposition des textes et paroles écrites de l'abbé

Pierre Bellégo

Accueil Citations Homélies TextesPlan du siteContact

Homélie précédente Table Index Homélie suivante
Homélies prononcées en l’église Saint-Sulpice à Paris. 1968-1974

46/ SEPTIÈME DIMANCHE ORDINAIRE. 18 février 1973.

Is 43,18-19.21-22.24c-25. 1Co 1, 18-22. Mc 2,1-12.

La guérison du paralytique entré par le toit. Comment se placer « juste devant Jésus ».

Le récit que nous venons de lire est tiré de l'évangile de Marc; Luc de son côté, rapporte le même événement, de la même manière, à peu près dans les mêmes termes. On trouve pourtant chez lui une brève notation qui lui est propre et que je vous rapporte car c'est elle qui va servir de point de départ à notre méditation. Il précise que lorsque les quatre porteurs eurent écarté les tuiles du toit, ils descendirent le paralytique «juste devant Jésus».

Se placer «juste devant Jésus» c'est la démarche de notre foi.

Démarche difficile car, entre Jésus et nous, comme entre Jésus et le malade, s'interposent et la foule et les murs d'une maison.

La foule d'abord. Si nous sommes bien loin de constituer une communauté de personnes concernées et libres, par contre nous acceptons paresseusement d'être pris dans un groupe, une collectivité dont nous suivons les habitudes et les mouvements. On dit couramment: «les chrétiens» et par cette expression on désigne un ensemble d'hommes et de femmes à la psychologie et au comportement assez uniforme pour qu'on puisse les considérer comme une masse maniable et capable de constituer dans un combat électoral un appoint décisif.

N'être chrétien que sociologiquement, c'est ne pas l'être vraiment. La foi n'est pas encore au terme de sa démarche qui doit conduire «juste devant Jésus».

La foule est le premier obstacle. Le deuxième ce sont les murs de la maison. Pour nous, c'est tout l'édifice idéologique que nous avons substitué à la simplicité de l'Évangile. Nous parlons de christianisme, de catholicisme et ces désinences en «isme» signalent bien ce qu'il y a de systématique dans de telles attitudes. Finalement, la foi chrétienne n'a pas beaucoup à redouter des idéologies régnantes qu'elles s'appellent marxisme ou structuralisme. Le danger le plus grave pour elle est de se dégrader elle-même en construction idéologique.

N'être chrétien qu'idéologiquement, c'est ne pas l'être vraiment car ce n'est pas encore «être juste devant Jésus».

Paralysés que nous sommes, puissions-nous trouver auprès de nous les quatre frères - mais peut-être ont-ils nom Matthieu, Marc, Luc et Jean - qui nous porteront par delà la foule et les murs «juste devant Jésus».

Et quand nous y serons, qu'attendrons-nous de lui, que sera-t-il pour nous?

Le texte d'Isaïe va nous aider à le préciser. Ce qu'il est beau ce texte dans son élan: «Ne vous souvenez pas d'autrefois, ne songez pas au passé». Ce qu'il est beau aussi dans les promesses qu'il énonce: «Je vais faire passer une route au milieu du désert, des fleuves dans les lieux arides».

Le désert c'est le lieu où l'on se perd parce que cet espace immense n'offre aucun point de repère. Nous avons tous lu, sans doute dans Saint-Exupéry, le récit de ces aviateurs tombés en plein désert, ayant marché des heures et des heures et qui finissent par constater avec terreur qu'ils ont tourné en rond et sont revenus à leur point de départ. Ils restent là, paralysés, incapables d'avancer car aucune route ne les conduit vers aucun but.

Le désert c'est aussi le lieu de la stérilité: rien n'y pousse, on n'y trouve que sable et cailloux. Ceux qui y sont perdus s'arrêtent, paralysés par l'angoisse de la mort inévitable.

Notre vie est bien à l'image du désert. Au milieu de tant de questions, de tant de problèmes sur l'homme, sa nature, son psychisme, sa sexualité, la politique, la violence, la révolution, nous cherchons une voie de vérité, un chemin sûr et, ne le trouvant pas, nous voici paralysés et comme résignés à l'inaction.

Notre vie est bien à l'image du désert, stérile: devant l'inutilité de tant d'efforts, devant le monde inchangé, nous finissons par dire «à quoi bon?» et à nous laisser paralyser par un scepticisme désespéré.

Mais, dans le désert, qu'une route soit tracée ou même une simple piste, alors il n'est plus le lieu de l'errance indéfinie; il devient un lieu de passage, un chemin vers un but. Dans le désert, qu'une source jaillisse, qu'un fleuve creuse son lit, et, aussitôt, de stérile qu'il était il devient fécond: herbe, plantes, arbres naissent et vivent.

Nous qui sommes paralysés par l'absurdité ou la stérilité de la vie, quand nous nous plaçons « juste devant Jésus » nous l’entendons qui nous dit: « Je suis la route » et aussi « de mon sein jaillissent des fleuves d’eau vive » et encore «Je fais un monde nouveau ». Il se présente comme celui qui donne une nouvelle dimension de l’existence, dans un monde nouveau.

Mais il nous interroge comme le fait Dieu dans le texte d’Isaïe: « Je fais un monde nouveau, ne le voyez-vous pas? » Il nous faudra répondre: « pas tellement ». Cette route, elle n’est pas évidente. Les fruits de la vie, ils ne débordent pas de nos mains. La clarté de ce monde nouveau, ce n’est encore à nos yeux qu’une aube douteuse. C’est pourquoi, devant la vie, nous restons hésitants, pris entre le oui et le non, incapable de lancer fermement l’amen, le « d’accord » qui nous jetterait dans l’existence sauvée.

C’est alors qu’il faut reprendre le texte des Corinthiens.

Saint Paul nous dit que Jésus n'a pas hésité devant le dessein de son Père, devant la vie qu'il nous proposait. Il n'a pas dit tantôt oui, tantôt non, mais, très nettement, oui. Un verset plus loin, Saint Paul complète sa pensée en disant que Jésus est devenu notre propre oui. C'est en lui, dans le mouvement de consentement qui l'emporte que nous-mêmes nous disons amen, nous disons oui.

Jésus, en effet, ne nous a pas dit: «Voici, je vous montre la route, je l'ouvre et la trace devant vous». Il a dit: «Je suis la route».

Au milieu du désert de la vie nous n'avons pas, nous les croyants, un itinéraire sans détours dont tout le tracé, dès les premiers pas, se déploierait devant nous. Nous ne sommes pas plus sûrs que d'autres de nos décisions et de nos choix. Nous aussi, nous avançons à tâtons dans une semi obscurité, obligés d'ouvrir la route devant nous pas après pas.

Mais dans cette incertitude où nous demeurons sur la sagesse de nos décisions immédiates, nous croyons pourtant que notre vie est orientée, que notre consentement l'ouvre à l'impulsion intérieure de l'Esprit qui ne peut s'égarer et qui nous en-traîne par une route incertaine et obscure pour notre sagesse humaine, mais sûre pour notre foi. Et c'est pourquoi, malgré tout, dans le Christ nous disons notre oui.

Si nous nous mettons ainsi dans une démarche de foi « juste devant Jésus », nous reconnaissons qu'il nous guérit de notre paralysie essentielle, celle de la résignation et du désespoir. Il nous rend possible le oui fondamental, le oui de la foi.

Il ne nous reste plus alors qu'à nous servir de notre mieux de nos jambes et de nos bras, de nous tenir debout, et, brancard sur l'épaule, de rentrer chez nous, c'est-à-dire dans la vie qui est la nôtre. Amen.

Homélie précédente Table Index Homélie suivante