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Pierre Bellégo

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Retraite

donnée aux sœurs Carmélitaines de Saint Joseph, de la communauté de Saint-Guilhem-le-Désert.
La maison mère de la Congrégation est située à Saint-Martin-Belleroche, près de Mâcon.

Cette retraite dura trois jours (30 octobre, 1er et 2 novembre 1995). Le Père Bellégo qui se sentait très fatigué hésita à faire ce déplacement. De retour à Paris, il fut frappé quelques jours plus tard de la congestion cérébrale dont il mourut le 22 novembre.
Le fil conducteur de la retraite est le Salut du monde.
Le texte est celui de notes prises par les religieuses dont il connaissait certaines depuis longtemps.
La fidélité de la transcription rend compte d’une expression orale avec ses hésitations, ses phrases qui se cherchent, les reprises de certaines expressions pour les développer ou ouvrir une nouvelle perspective, l’ensemble nourri par des versets bibliques. Mais c’est moins la recherche de l’exactitude sur des sujets qui lui étaient familiers que sa conviction et son engagement qu’exprime ainsi Pierre Bellégo car c’est d’un appel au combat spirituel pour le Salut du monde qu’il s’agit.
La dernière journée porta sur les sacrements définis comme « moyens » du salut du monde, eucharistie et pénitence surtout, dont une célébration communautaire termina la retraite.


Mardi 31 octobre. Matin


Prière à l'Esprit-Saint (Traduction du Veni Sancte Spiritus)
Viens, Esprit Saint
Envoie de ciel le rayon de ta lumière
Viens, Père des pauvres
Aumônier des vraies richesses
Lumière des cœurs
Consolateur de toute solitude
Tendre habitant de nos âmes
Amitié rafraîchissante
Repos dans notre fatigue
Calme dans notre agitation
Réconfort dans nos larmes
O lumière bienfaisante
Inonde au plus profond
Le cœur de tes enfants
Purifie ce qui est souillure
Arrose ce qui est désert
Guéris ce qui est blessure
Assouplis ce qui résiste
Réchauffe ce qui meurt de froid
Simplifie ce que nous compliquons
Donne à tes fidèles
Qui mettent leur confiance en toi
Les sept dons qui sanctifient
Offre-nous ta perfection
Mets-nous sur le chemin de salut
Donne-nous la joie éternelle
Amen. Alleluia ! Par Vous trois, Père, Fils et Esprit. Amen.
ALLUSION AU PÈRE PARIS, aumônier de la Paroisse universitaire1: Demander l'inquiétude du Salut du monde. Que se développe en chacune de nous l'inquiétude du salut du monde. Non pas souci, crainte.
INQUIÉTUDE: Être sans repos, tâche qu'on n'abandonne pas. Une tâche que nous retrouvons chaque matin. Nous sommes sans repos.
Jésus guérit une malade un jour de sabbat, (la femme courbée2). "Mon Père et moi, nous travaillons toujours."(Jean 5, 17. À chaque instant Jésus est au travail en nous. Une forme excellente de prière, c'est de laisser Jésus travailler en nous, le laisser modeler sa pâte. Nous abandonner au travail incessant de Dieu, nous remettre entre ses mains, nous abandonner à Lui. IL est le seul qui sait ce que nous devons devenir comme être particulier, comme personne particulière, ayant chacun à tenir Un rôle comme dans un orchestre. Dieu est sensible à ce rôle particulier, unique. Chacun a une place unique pour le Royaume. Comme un chef d'orchestre, Dieu sait quelle place nous avons à tenir, ll est là, attentif à notre vie pour que nous donnions la petite note voulue, au moment voulu.
Certitude que Dieu agit toujours pour le salut du monde. Mais comment intervenir dans ce salut? Il était "sans repos" pour ce travail. Il travaille au salut du monde. ll a un souci constant de ce salut, Puissent ces journées raviver en nous l'inquiétude ae ce salut du monde. Non pas l'anxiété. Ce salut il est confié à l'amour, à sa tendresse, à sa miséricorde... Il est assuré, mais il ne peut l'être sans nous. Rejoindre Jésus, Dieu dans ce travail du salut du monde.
SALUT: Il y a menace, péril de mort, danger de ne pas atteindre le salut...
Canots de sauvetage prêts à partir. Le monde dans son état actuel est en péril d'être perdu, de ne pas arriver au terme de son évolution.
Perdu au double sens:
Un homme perdu dans sa nature: un homme qui ne vit plus en homme, qui ne peut plus être un homme véritable.

Genèse: "Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance"(Genèse 1,26).
Pour être lui-même, l'homme doit être à la ressemblance de Dieu, qui est un être totalement donné en communion.
Ce qui caractérise Dieu, la manière dont il a voulu se faire connaître à nous, c'est qu'If est un être qui n'existe qu'en se donnant pour faire exister. Il est communion, Très sainte Trinité. Dieu n'existe que parce qu'il se perd, il se donne, il se livre. Celui qui se donne, qui se livre, qui n'existe que par sa générosité. Il est bâti comme ça.
Et nous, nous sommes construits, bâtis, créés à l'image et à la ressemblance de Dieu.
Ce qui est fondamental, c'est que notre vie est une vie de communion, de relation. Nous sommes construits pour çà. Une solitude du coeur et de la pensée est contraire à la communion. Nous sommes faits pour les relations.
Si certains vont vers la solitude, c'est pour retrouver une communion, une relation plus profonde. Refuser cette communion c'est pécher.
Si par une misère de notre esprit, nous ne réussissons pas à réaliser les communions... Si c'est un refus volontaire, c'est cela un péché.
Si c'est un refus d'entendre ou d'écouter, c'est grave.
Loin de répondre à notre nature profonde, l'humanité ne recherche pas les communions. L'humanité est plutôt individualiste. Elle veut s'assurer de ses arrières. Nous essayons de nous tirer d'affaire en prenant nos sécurités. Nous vivons pour nous. La loi de la vie: chacun pour soi, les autres se débrouillent.. Pas naturel d'être du côté de la générosité. Nous assurons les arrières... "on ne sait jamais" Le mouvement spontané de l'être humain, c'est le besoin de posséder, de s'assurer. Etre votre créateur, ne pas recevoir d'un Autre ce qui va nous tirer d'affaire. L'homme ne vit pas ordinairement dans le sens oblatif de la générosité, dans le sens du mystère de la Très sainte Trinité. Jésus nous a parlé de Dieu comme d'un être d'échange: "Père" Jésus dit "mon Père", Père qui communique quelque chose.
Aux origines de l'histoire humaine, il y aurait eu un refus, un refus de suivre l'élan spontané vers l'autre, l'homme aurait voulu saisir. Une explication assez lumineuse de l'histoire humaine. L'homme refuse d'exister par l'admiration, l'émerveillement. L'homme veut posséder, saisir, prendre, manger, ingurgiter, dévorer. Ce mouvement entraîne toute une série en chaîne de catastrophes, de conflits d'oppositions dans la condition humaine, la création.
L'altérité sexuelle d'Adam et Eve devient domination et pouvoir. L'homme entre en conflit avec la nature. La nature devient l'arme de la mort (science de l'atome). Une force de mort s'est dégagée, amplifiée. L'homme et le monde se sont dégradés. Recevoir quelque chose par l'autre nous définit fils de Dieu mais il existe en nous un force de mort qui va à sa perte.
L'homme et le monde ont besoin d'être sauvés.
Le monde a absolument besoin d'être sauvé.
ARTISANS DU SALUT DU MONDE. À partir de ce geste primitif, de cette faute première, l'homme a radicalement perdu sa faculté d'aimer. L'homme ne sait plus aimer, il cherche à dominer, à posséder, à asservir. Nous sommes obligés de reconnaître que le péché est toujours un refus de communion. Le péché toujours se définit par un refus de communion. Indifférence aux autres, hostilité, préférer notre avantage, notre bénéfice. Refus de notre vocation communionelle or Dieu veut que nous soyons des êtres de communion capables de s'oublier pour faire vivre.
"On t'a fait savoir, ô homme, ce qui est bien. Rien d'autre que d'accomplir la justice d'aimer avec tendresse de marcher humblement avec ton Dieu" (Michée 6,8).
Trois exigences de communion:
Accomplir la justice. Justice juridique, être juste avec un être, pas seulement sur le plan économique.
Etre juste: toutes les formes de la vie de relation. Regarder ou ne pas regarder, le regarder avec un regard critique au lieu de l'envelopper d'un regard symethique. Tout être a besoin que l'onipose sur lui un regard d'admiration, de confiance, c'est la relation juste. Car toute personne a besoin pour vivre d'un regard d'amour, d'admiration (Dieu vit que cela était bon). Porter un regard de confiance, d'amitié aux personnes qui se sentiraient perdues distancées de nous-même, de la communion.
Aimer avec tendresse. Un amour généreux, dépouillé de soi, pleinement donné, patient. Tendresse patiente qui ne se lasse pas. Amour qui ne se reprend pas, amour véritable pour le bonheur de celui qu'on aime.
Marcher humblement avec ton Dieu. Si on ne marche pas humblement, on n'est pas avec son Dieu, on est coupé de Lui par notre orgueil. L'orgueil, l'avarice nous coupent de Dieu.
Certitude que l'on reçoit toujours de Lui. Lui est toujours proche de nous.
En dépit ou à cause de nos faiblesses, il faut toujours recommencer. La condition humaine est de devoir toujours recommencer. C'est une condition de recommencement (la peste de Camus...elle revient) Dieu est plus têtu que le mal.
Le sacrement de pénitence est un sacrement de recommencement. Ce que nous apportons réellement c'est nos recommencements. Sacrement de confiance et d'espérance. Dieu recommence avec nous et nous avons à recommencer avec Lui. Salut les copains.3
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Mardi 31 octobre. Après-midi


Nous nous trouvons devant un phénomène d'émiettement, des hommes enfermés, entraînés par un mouvement intérieur qui suscite incompréhensions, oppositions. L'univers, la création... faits pour être cohérents, fraternels. Monde qui à prétention d'exister par lui-même, pour lui-même. Le monde perdu, ruiné voudrait exister par soi, pour soi. Monde qui aurai t besoin de salut. L'homme n'est pas en lui-même porteur de salut pour lui, pour tous les hommes mais il y a Jésus.
Jésus dans son nom veut dire "Dieu sauve".
En Jésus c'est Dieu lui-même qui va exercer sa puissance, sa fonction de Sauveur. Jésus c'est Dieu qui sauve. Jésus dans son être est Dieu en acte de salut, en exercice de sa puissance re-créatrice.
De la personne de Jésus nous savons peu de choses.
"Prenez sur vous mon joug car je suis doux et humble de coeur." (matt,11,29)
Jésus définit lui-même ce qu'il est devant ceux qu'il appelle à être ses disciples. Dans cette affirmation, Jésus se livre et se décrit. Il ne s'agit pas d'une notation affective, psychologique. Jésus nous révèle son mode de vivre, le but de sa vie, ce qu'il fait à travers son histoire.
Jésus est doux parce que dans tout ce qu'il fait, il s'efforce, s'applique à vivre fraternellement. L'être doux à la manière de Jésus est un être qui cherche à établir et entretenir des relations fraternelles avec les autres. Il n'est pas un être solitaire. Il se construit pour établir des relations fraternelles. Tel qu'il est bâti, c'est un être qui par tout lui-même dit "notre". Il présente Dieu comme celui qui est un Père universel "notre Père". Très délibérément et par toute sa personnalité, il dit "notre". Il est un principe de fraternité, constitué comme lien, il relie, le religieux. Il dépose en tout homme ce principe actif de fraternité mutuelle. Il est principe de rapprochement, de cohésion mutuelle. Etre de cohésion, de fraternité, de lien. Impossible de dire "moi", entraîné à dire "nous". Jésus celui dont le "nous" est universel. Il est un lien universel. Il englobe tous les êtres en humanité.
Jésus est humble.Pour nous ce mot a une connotation morale, sensible, affective. Humble...humus...la terre d'où nous viennent les sources qui désaltèrent, les aliments qui nourrissent, l'homme humble est celui qui accepte de ne pas vivre par lui-même, mais reçoit sa vie d'une source, d'une terre. Rattaché à l'universalité des hommes, il a en lui-même une dimension universelle. Humble parce qu'il accepte de recevoir la vie. Il existe par un engendrement éternel. Il se reçoit totalement de son Père. Frère universel, relié à tous les hommes, il l'est d'une façon absolue. Il va pouvoir communiquer à tous les êtres ce qui est pour lui fondamental.
«doux» constitué pour dire d'une façon absolue "notre"
«humble» constitué pour dire d'une façon absolue "Père"
Vous direz "notre Père",avec une telle vérité, avec Jésus, en Jésus. Relié de façon totale à son Père, à ses frères. Il peut dire avec vérité "notre Père".
Or, nous sommes des êtres de dispersement. Nous n'acceptons pas notre source,nos racines:
NOTRE PÈRE. En Jésus nous sommes sauvés puisque nous pouvons dire "notre Père" en vérité. Lorsque nous disons en Jésus "notre Père", alors notre manière de prier trouve sa profondeur et son extension...nous voici dans l'ordre du salut. Dieu est le vivant. Par le plus profond de nous-même nous sommes reliés à la source inépuisable qui est en Lui. Jésus est l'antidote absolu de notre perte, nous sommes reliés à l'être qui est la communion universelle.
Jésus est Dieu dans son être. Quand Dieu sauve il s'appelle Jésus. . Il est l'attitude contraire de celui qui a entraîné la perte de l'homme. Possibilité communiquée en Jésus par sa résurrection. En Jésus est le remède infini à ce qui est notre perte. Jésus dans son être dit "nous". Tout le problème du salut va être de réussir à établir une connexion entre Jésus et l'homme, entre Dieu et les hommes.
Pour que le monde soit sauvé, il faut qu'il soit relié à Jésus, et il faut que le monde puisse être relié par Jésus. Jésus est le Sauveur, celui qui s'est fait frère, en qui nous sommes enfants de Dieu, qui nous fait frères. Jésus est la source du salut
Être appelé à la foi, c'est accepter de travailler avec Jésus pour que s'établisse le lien entre son humanité qui sauve et notre humanité travaillée par la mort.
L'ENJEU. Établir une connexion entre Jésus et les hommes… problèmes de religions... de relation avec Dieu. C'est Jésus qui est pour nous et l'humanité toute entière le lien, la communion parce qu'il est le sauveur. C'est là notre travail de croyant.
«Commencement de l’Evangile de Jésus-Christ.» C’est le début de l’Evangile de Marc. C'est Jésus en tant qu'il est la Bonne Nouvelle en acte. Le dynamisme de vie, c'est Jésus en tant que personne. Evangéliser... Mettre en communion avec la personne de Jésus. Tout être qui va se rattacher à Jésus par la foi... rencontre Jésus comme Evangile...auteur de salut...de communion. S'offrir au rayonnement de sa Personne, se laisser transformer à la source de notre être.
CROIRE en Jésus, c'est vivre en relation juste ...en totale confiante, en abandon absolu à Jésus. « Aimer avec tendresse... », sans recherche intéressée parce qu'il est pleinement aimable, aimer Jésus comme il doit être aimé. « Marcher humblement... » être là près de lui pour recevoir ce que continuellement il nous communique et il nous donne. A partir de cela notre vie quotidienne prend une valeur inestimable, éternelle en Jésus. La vie prend un poids et un prix extraordinaires.
La vie est le lieu même de notre communion avec Jésus. Jésus est au cœur de la vie. Il est le cœur même de la vie. Entrer délibérément dans la vie. Oui à la vie, oui à Jésus.
Nous ne sommes en communion avec Jésus que lorsque nous acceptons de vivre "quand même". Quand nous essayons d'aimer véritablement nos frères, notre foi va s'exprimer par l'amour que nous portons aux autres. La vraie foi, ça sera d'aimer "quand même". Quand nous prions "quand même" portés et entraînés par la force de l'Esprit de Dieu nous sommes dans la foi, pas dans la conclusion d'un raisonnement raisonnable. Jésus, uni à nous, agit au plus intime de notre être pour dire en nous "Notre Père". Sans sa puissance, nous ne pourrions jamais dire « Notre Père ». C'est sa puissance de salut qui agit en nous. C'est parce qu'il agit en nous que nous pouvons dire « Notre Père ».
En Jésus nous devenons enfants de Dieu comme Lui et frères de tous les hommes.
Les fleurs de la Toussaint...4
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Mercredi 1er novembre


Prendre conscience que notre monde se perd. Conscience aigüe du monde qui se perd, tout ce qui s'égare ou se décompose. Pour que nous ressentions bien combien le monde et nous-même avons besoin d'un recours à un Sauveur. L'humanité n'a pas en elle-même la possibilité de re-créer, c'est au contraire celle de détruire avec une capacité toujours plus grande. Au contraire, elle est agent de cette dégradation matérielle et humaine. Dégradation progressive dans ses facultés d'être "humanité". Oppositions internes de plus en plus étendues et graves.
Nous retourner vers celui que nous appelons Jésus, le Sauveur. Nous retournons vers Jésus. Il est en lui-même de façon germinative le principe de Salut. Nous reconnaissons en lui fa puissance germinative du Salut. Le problème du Salut exige une relation entre le monde travaillé par les puissances de mort et Jésus principe de Salut.
JESUS: Il est le SALUT. Jésus est le Salut. Il est en lui-même le Salut. Etre en contact avec lui c'est être en contact avec le Salut. C'est entrer dans un mouvement de participation au SALUT. Jésus est doux et humble de cœur. Sa douceur et son humilité le mettent en pleine relation avec les hommes, avec Dieu plénitude de la vie.
Jésus a accepté cette tâche mais il ne veut pas l'accomplir seul. Il veut l'accomplir avec ses disciples. Jésus propose à ses disciples de venir collaborer avec lui pour que la puissance de salut gagne de proche en proche jusqu'aux extrémités de l'univers. Jésus veut partager cette tâche de salut avec ses disciples. Jésus les envoie en son nom. Derniers contacts, des envois en Mission: en son nom, le Nom, puissance dynamique, en son NOM de SAUVEUR.
Marc: "Allez dans le monde entier" (Marc 16,15) Allez, mission impérative.
Résurrection: Jésus apparaît, se fait reconnaître, donne la mission et il dit: "Allez dans le monde entier, proclamez l'Évangile à toutes les créatures à toute la création". Par le monde entier, à toute la création. Ouverture de la mission illimitée. Rien ne peut échapper à cette imprégnation de l'Évangile. L'Évangile c'est la force du Salut, la puissance de recréation.
Pour que cette recréation échappe aux forces de mort, il faut que tout soit travaillé par un ferment de vie, que le Christ Ressuscité entre en contact avec ce monde. Contact entre Jésus Ressuscité et le monde vivant.
Transmission de l’Évangile facilité par le système de relations de l'Empire romain et par la diaspora juive: dans toutes les villes du pourtour méditerranéen, il y avait des juifs qui pouvaient accueillir les apôtres. Les communautés exerçaient largement le devoir de l'hospitalité. Développement rapide; les chrétiens ont cru "qu'ils étaient arrivés". Menacés de s'arrêter au Bassin Méditerranéen, d'être satisfaits. Mais aux Vè-Vlè siècles il fallut déchanter. Ils ont découvert que le monde était plus vaste que le Bassin Méditerranéen. Prise de conscience que le monde était vaste, l'humanité plus nombreuse, les hommes plus divers. Le monde était extraordinairement plus vaste que l'on ne pensait, l'homme plus divers dans ses manières de vivre. Les églises prirent conscience qu'il était impossible d'atteindre toute la création, toutes les formes de vie, toute la diversité des hommes pour infuser le ferment de l'Évangile, pour infuser l'Esprit de Jésus. Phase de désenchantement, de découragement de l'évangélisation qui devait aller plus loin. Le rejet s'accompagnait du martyre. Une réflexion s'est organisée sur le message du Christ. On a pris une conscience plus juste de gestes déjà élaborés, une conscience plus juste de ce qu'étaient des gestes constitutifs de la communauté chrétienne: les sacrements.
Les SACREMENTS.
Ils appartiennent depuis le début au patrimoine de l'Eglise. Mais on n'avait pas compris le sens et la portée des sacrements.
Si nous les observons, tous les sacrements ont comme matière première un aspect de la vie humaine, saisie dans un de ses moments typiques. Tous saisissent un moment de la vie humaine. Si l'on prend l'ensemble des sacrements on peut dire que la vie est là affectée de son coefficient de précarité, d'incomplétude. Dans chaque sacrement c'est la vie qui appelle, qui réclame le salut.
Baptême / naissance. Confirmation / entrée dans la vie sociale. Mariage / famille, propagation de l'espèce/ onction des malades / mort etc...
Cette vie n'est pas là à l'état brut, mais elle est saisie à l'état élaboré, c'est à dire qu'elle est saisie dans son universalité. L’Eucharistie célébrée avec du pain, c'est la vie, l'humanité dans ce qu'elle a de commun. C'est l'humanité toute entière qui est présente dans le sacrement. C'est l'humanité toute entière qui doit être sauvée. Le sacrement doit toucher l'humanité dans son universalité. Le sacrement n'est pas séparable de l'Eglise. L'Eglise c'est Jésus Ressuscité, humanité constituée par Jésus comme détentrice de la puissance de re-création acquise par Jésus dans sa mort et sa résurrection.
La vie est menacée de se perdre. Dans le sacrement s'opère la rencontre de l'humanité à sauver avec la puissance de salut de recréation qui est en Jésus Ressuscité. Rencontre d'un concentré d'humanité perdue et d'un concentré de la puissance du salut.
La Résurrection, émergence du Royaume des cieux.
Quand nous célébrons un sacrement nous célébrons une puissance de salut efficace. Les sacrements sont les gestes de Jésus porteurs de salut. Quand nous célébrons un sacrement nous célébrons un acte de Salut... c'est le renouvellement du monde. Dans chaque sacrement, c'est le Salut du monde qui s'opère.
Nous ne célébrons pas à notre avantage personnel. Les sacrements que nous recevons, nous les recevons pour que tous les hommes soient touchés par la puissance de Salut de Jésus. Ainsi le sacrement de mariage élève l'amour d'un homme et d'une femme au niveau d'une médiation. C'est l'amour même qui est sanctifié. Ce n'est pas dans l'Eglise que nous sommes sauvés mais dans la vie. C'est dans la condition humaine que les hommes sont touchés par la grâce de Dieu. Les sacrements sont des moyens inventés (découverts ?) par l'Eglise pour que la puissance de Salut de Jésus atteigne tous les hommes. Tout engagement libre et généreux est rejoint par la puissance de Salut de Jésus, à condition qu'il y ait des hommes et des femmes touchés par la foi qui acceptent d'être médiateurs. "Sans l'Eglise il n'y a pas de Salut".
C'est la situation de tout chrétien. Situation sacerdotale, roi, prophète, prêtre. Intel médiane entre Jésus Source de Salut et le monde. C'est en cela que nous sommes ministres du Salut parce que nous appartenons à l'Eglise et nous sommes dans le monde. Nous sommes les ministres actifs du salut du monde, les artisans actifs du SALUT. Comme chrétiens nous sommes conscients d'être appelés par Jésus à collaborer au Salut du monde.
Mais dégradation et entropie inévitables.
Prier c'est ouvrir notre cœur au flot de la vie. C'est accueillir le flot de la vie qui charrie joies, peines, malheurs et l'offrir à Dieu. Boulangeons le Pain de vie en disant « Notre Père... » Chrétien au quotidien. p.9.5
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Jeudi 2 novembre matin


Ouverture de notre cœur au silence. "Dieu est là où on le laisse entrer." Tradition hassidique. "La voix des choses.") Marguerite Yourcenar.
Elle qui entend le murmure pénétrant vers le consentement intérieur.
"Je me tiens à la porte et je frappe."6
LES SACREMENTS: Baptême - Pénitence - Eucharistie. Des moyens de salut; semer l'Evangile.
Les sacrements sont des moyens par lesquels l'Eglise s'est efforcée de répondre à travers les temps à la Mission donnée par Jésus: "Allez, enseignez toute la création." = la puissance de la Résurrection à toutes les créatures, c'est à dire, d'établir une relation vivifiante entre les créatures travaillées par une puissance de mort et Jésus.
Dans toutes les réalités humaines il y a une puissance de mort, de dégradation, l'entropie. C'est vrai pour tous les ordres de réalités, réalités spirituelles aussi bien que physiques. Dans le monde il y a un travail des forces de mort, de dégradation. Dans l'Eglise notre travail c'est d'établir une communication, un lien entre ces réalités travaillées par la mort de Jésus ressuscité qui porte une force de résurrection, Jésus qui porte en Lui le principe victorieux de sa vie, l'affirmation victorieuse de la vie. C'est relier (religion) les hommes et Jésus.
De la création Dieu vit que cela était bon. Les réalités de, car tout a été fait pour que l'homme puisse entrer en communion. L'intelligence, une force qui devrait rassembler tous les hommes. Du Père Chenu la marchande de fleurs disait : "Il est si intelligent qu'on ne s'en aperçoit pas". L'intelligence, pour la partager avec les autres, mais parfois elle sert pour dominer les autres.
Tentation d'utiliser l'intelligence pour dominer, exploiter, alors c'est un bien qui se dégrade, qui devient une richesse. De bien qu'elle était, elle devient une richesse, une faculté dégradée, un bien dénaturé qui divise, qui domine. Une force de communion qui devient force de domination.
Il y a une force de dégradation qui s'attaque aux biens qui sont donnés pour les communions. L'homme dénature les puissances de communion qui nous étaient données parce que nous passons de l'ordre des biens à l'ordre des richesses. Cette dénaturation, çà, c'est le péché, la misère du monde. Instruments de fraternité, nous les détournons pour affirmer notre domination, pour lutter les uns contre les autres.
Cette entropie joue aussi bien hélas pour les réalités d'ordre spirituel. Au cours des temps, les sacrements, biens spirituels, ont connu une force de dégradation. Finalement, ils sont utilisés en sens contraire. Il y a une déviation. Faits pour rétablir entre les hommes les liens prévus par Dieu, ils deviennent des forces pour l'exaltation de nous-mêmes. Ces biens deviennent pour l'Eglise et les chrétiens des richesses, pour que nous devenions satisfaits de nous-mêmes, pour nous mettre à part, au-dessus. Ainsi le baptême qui « efface » la tache originelle, nous met à part dès le début de la vie.
Les sacrements appellent toujours le consentement libre de l'homme. Dieu ne brime jamais la volonté d'un homme. Le sacrement demande toujours la rencontre libre de l'homme. Sauver c'est rendre plus libre encore... Consentement d'une intelligence et d'une volonté libres. C'est dégrader les sacrements que d'en faire des " trucs".
SACREMENT DE MARIAGE. Il consacre l'amour comme lieu de la rencontre de Dieu. L'amour reçoit la puissance de résurrection...d'inscrire dans l'univers de Dieu ce qui n'était qu'une réalité du temps. L'amour puissance de Résurrection qui devient porteur de vie éternelle. Consécration de deux êtres. L'amour comme tel est consacré. Tous les hommes qui entrent dans cette réalité généreusement sont pris dans ce mouvement de vie, de résurrection. Ils sont dans une réalité de salut.
SACREMENT DE PÉNITENCE. Le sacrement qui "lance nos recommencements"; toujours recommencer (Camus: la peste enverra toujours ses rats crevés dans les égouts). Ce que nous apportons c'est notre volonté de recommencer, de re-naître. Le sacrement de pénitence consacre nos recommencements, notre re-naissance.
Bonheur: le nom commun du Salut, le nom de tendresse du Salut. Au seuil de sa passion, Jésus verse de l'eau fraîche sur des pieds gonflés par la chaleur, souillés de poussière... rien de plus...
Nous entendons résonner huit fois le mot des béatitudes...heureux, heureux7.
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Jeudi 2 novembre après-midi


EVANGELISER c'est révéler un Nom.
Tout homme est une énigme à lui-même, tant qu'il ne découvre pas à la source de son être le nom de Jésus. Evangéliser c'est révéler un Nom que chaque homme porte mystérieusement au cœur, à la source de son être. Chaque homme est une réalité sacrée.
L'EUCHARISTIE, sacrement quotidien. L'Eucharistie, nous la célébrons fréquemment, quotidiennement. Ne pas seulement considérer l'Eucharistie comme Présence réelle, ce n'est pas le mode le plus important. L'Eucharistie n'est pas le lieu d'une dévotion. Pas seulement Présence réelle de Jésus sous les espèces du pain et du vin (c'est vrai, et je suis prêt à mourir si c'était nécessaire pour l'affirmer) mais c'est fondamentalement l'acte de salut du cosmos tout entier. C'est l'extension au cosmos de la puissance de Résurrection qui a fait sortir Jésus de son tombeau. C'est faire éclater ce qu'il y a de vie dans la création toute entière.
Comment est-ce que cela se réalise? L'Eucharistie n'est pas limitée à un acte de la condition humaine, à une situation particulière; ce qui est présenté c'est le cosmos tout entier que nous prenons, pour que l'Eglise puisse y insuffler la puissance re-créatrice de Jésus. Ce qui est touché, c'est le cosmos tout entier, pour que le cosmos matériel, physique, humain devienne le Corps de Jésus Ressuscité. Sacrement qui saisit l'homme dans sa fragilité, le monde dans sa fragilité. Le repas souligne la fragilité de la condition humaine. L'homme n'a pas en lui-même les ressources suffisantes pour soutenir sa vie. Tout homme est obligé de quêter les aliments, les énergies qui lui sont nécessaires. Le moyen par lequel l'homme acquiert ces aliments nécessaires, c'est le repas. Le repas est le geste par lequel nous sommes plus visiblement et directement reliés au cosmos qui nous entoure. Nous sommes continuellement des mendiants de l'univers et souvent, plus des prédateurs que des mendiants pour demander ce dont nous avons besoin pour subsister. Dans le repas eucharistique toute l'universalité du cosmos est là. Ce sont les ressources du cosmos qui sont là dans ce pain que nous allons rompre et manger. Toute cette richesse est là dans ce pain: la réalité est là.
Quand nous prenons ce pain, c'est un geste inouï...tout ce poids de l'univers... toute cette virtualité de l'univers...
Tellement émouvant en raison de sa simplicité.
Nous soulignons notre fragilité. Sans pain nous ne pouvons vivre, sans vin nous manque la joie. Un repas ce n'est pas seulement le moment où nous refaisons nos forces. C'est un repas c'est à dire des hommes ensembles, ça suppose manger ensemble, geste éminemment « communionel ».
Quand nous célébrons l'Eucharistie il y a la présence de l'univers et la présence de l'humanité entière. Il y a à la fois l'univers et l'humanité dans leur totalité qui sont présentés à la puissance de Résurrection, de salut qui nous vient de Jésus Ressuscité. L'Eucharistie, sacrement pascal par excellence.
LE SACREMENT DE PÉNITENCE.
Peut-être le plus, malmené. Assez dévalué dans la conscience des chrétiens. Peut-être qu'il nous fait toucher notre faiblesse la plus humiliante. Il s'attaque à une réalité spécifique de la condition humaine, celle de la nécessité de toujours recommencer. Nous sommes hommes faibles pour mener à bien les gestes de notre foi. Nous avons des élans mais rarement nous menons à terme nos projets, nos décisions. Notre vie est une vie très discontinue. Nos résolutions ne sont pas faites pour être tenues mais pour être reprises. C’est le sacrement de l'homme obligé de se remettre à vivre. Un être d'élan et de retombée. Il est obligé de repartir. Le sacrement de pénitence renouvelle, rénove ce que nous avions reçu au baptême; c'est une réactivation de l'énergie de notre baptême. Nécessité qui s'impose aux chrétiens. L'Eglise nous propose ce geste de la pénitence qui est une réactivation de Pâques. Il nous remet en état de célébrer de nouveau... ministres de la Pâque du monde. Caractéristique du baptisé: re-devenir fidèle à sa vocation.
LE PÉCHÉ est toujours un refus de fraternité, un refus de l'autre, un refus d'amour. Quand nous ne sommes pas dans la fraternité, quand nous avons refusé nos frères... Le sacrement de pénitence nous remet en état de célébrer les gestes de l'Eucharistie... en état d'Eucharistie. Le geste pénitentiel de l'Eucharistie est destiné à nous orienter vers l'état de frères. Il nous donne et nous redonne d'être ministres de la Pâque du monde comme nous devons l'être. Nous en faisons le sacrement qui va nous débarrasser du poids de l'humiliation de nos fautes et de notre remords. Il va nous permettre de réexercer notre fonction, celle pour laquelle nous avons été choisis: "Nous te rendons grâces car tu nous as choisis pour servir en ta présence."
Tout chrétien est sacerdotal, fait pour célébrer. Toute rupture de cet état doit être réparée, pour nous remettre en état de célébrer. Le sacrement nous réhabilite dans notre fonction sacerdotale. Il répare cette rupture et nous remet en état d'exercer cette fonction.
C'est le sacrement de notre pauvreté... Nous nous sommes rendus inaptes, par notre faute, à remplir notre mission. Refus d'entrer dans la célébration qui rassemblait tous nos frères.
Le péché ne doit pas nous donner le sentiment de notre culpabilité, mais de notre pauvreté. Il ne doit pas faire de nous des coupables mais des pauvres. Le péché par la grâce de Dieu peut devenir le point de départ de la prise de conscience de notre pauvreté. Attendre de lui que petit à petit, il fasse de nous des pauvres devant Dieu. "Priez pour nous " pauvres" pécheurs"... tendresse de Dieu. Sentir la tendresse de Dieu, le don renouvelé de son amour.
Sacrement du pardon, du don illimité, inépuisable que Dieu nous fait de Lui-même. Il mériterait d'être mieux fêté... mieux marqué... au moins dans notre cœur.8
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Notes:

1 Le Père Paris, prêtre du diocèse de Coutances, fut le premier aumônier de la Paroisse universitaire fondée en 1910 par Joseph Lotte, professeur à Coutances. Il mourut en 1939 mais les Cahiers de la Paroisse universitaire publièrent de lui, en janvier 1946, un article intitulé L’inquiétude du salut du monde.
2 La phrase « Mon Père et moi, nous travaillons toujours » est en Jean 5, 17. Elle est une réponse de Jésus aux critiques des « juifs » qui lui reprochaient d’avoir guéri le paralytique de la piscine de Bethesda un jour de sabbat. « La femme courbée », guérie elle aussi un jour de sabbat est en Luc 13, 10-17.
3 Salut les copains. La langue de bois ? C’est un idiome dont l’apparition remonte sans doute aussi loin que celle du langage. Sa caractéristique, celle qui lui donne son nom réside, en cela que les mots qui la composent n’ont aucun retentissement dans la réalité vivante, ils sonnent creux comme un troc d’arbre mort qui ne porte plus ni feuilles ni fruits. Elle est de bois, cette langue, comme l’est un cercueil. Certains voudraient lui reconnaître aujourd’hui une zone d’extension privilégiée qui se confondrait avec l’aire géographique dont les frontières sont dessinées par des rideaux de fer ou de bambou. Cette localisation, il nous faut, hélas, la récuser car l’expérience, -et peut-être aussi l’humilité- nous oblige à reconnaître que s’il y a un univers dans lequel la langue de bois exerce également ses ravages, c’est bien la nôtre, celui de la religion.
Pourtant Jésus, lui, a rejeté le langage abstrait et doctrinal. Son enseignement, il a toujours voulu l’exprimer à partir des réalités simples qui sont celles de la vie quotidienne. Pour lui, le Royaume de Dieu, c’est un grain qui se développe, une pincée de levain dans la pâte, une pièce de monnaie perdue et retrouvée. Pour lui, le Salut, c’est une gorgée d’eau fraîche dans l’écrasante chaleur de midi, des yeux qui s’ouvrent à la lumière, un enfant rendu à sa mère.
Pour nous, par contre, après vingt siècles d’Eglise et de nécessaire théologie, que reste-t-il de vivant, de « charnel », sous le mot «salut» quand nous le répétons dans nos liturgies? N’est-il pas devenu, lui aussi, une mot de la langue de bois, incapable d’éveiller le désir, de faire monter la joie, d’alléger le fardeau de la vie quotidienne, un mot d’église?
Mais il y a les bistrots du matin, le client qui entre, s’approche du zinc, et lance à la cantonade avec la voix à la Gabin : « Salut les copains ! »
Et dans ce lieu qu’on dit profane, ces deux mots, appartenant l’un à l’univers du sacré et l’autre à celui du travail et du peuple chantent ensemble, comme l’Angelus de l’aube : « le Verbe s’est fait chair. » Leur conjonction inattendue les féconde et l’Evangile redevint Parole vivante. Nous l’entendrons alors qui nous dit que le Salut, c’est le pain rompu et partagé dans l’élan d’un cœur qui se donne faisant de nous des co-pains et des bistrots du matin une nouvelle auberge d’Emmaüs. Salut les copains. Février 1988. L’aujourd’hui du Christ dans l’aujourd’hui du monde… » p.149.
4 Quand ce numéro de N.R.G. (Nouvelles Rive Gauche) atteindra ses lecteurs, les fleurs seront à peine fanées que, dans les premiers jours de novembre, nous aurons déposées sur les tombes des cimetières ou devant les monuments élevés en hommage aux victimes de toutes les violences.
Déjà nous serons à nouveau emportés par le flot de l’existence où se mêlent indistinctement joies et peines, échecs et réussites, morts et naissances.
Mais il y aura eu ce moment où, face à l’inévitable mort, nous aurons dressé la fragile protestation d’une fleur offerte.
Il s’agit bien en effet d’un refus. Même si –nous ne pouvons l’ignorer- nous ne voulons pas admettre que cette fleurs soit, elle aussi, soumise à la loi de la mort et condamnée à se faner, se flétrir et pourrir. Quand nous la prenons et la présentons comme le prêtre le fait du pain et du vin, notre geste proclame qu’une telle beauté ne peut être éphémère et que sa douceur est plus forte que les violences de la mort.
Qui ne se souvient, même pour ne l’avoir vu qu’une seule fois, de ce bouleversant « poster » ? Où se passe la scène? Peu importe : ce pourrait être, hélas, dans tant de pays de notre monde. Face à face, une foule de manifestants aux mains nues qui réclament droit et justice, puis une muraille d’hommes casqués, l’arme braquée, prêts à tirer. Entre les deux, dans cet espace où se condense le drame, s’avance une toute jeune fille qui, pour conjurer la haine et la mort n’a qu’une fleur qu’elle offre comme une supplication. Ce geste, il porte en lui tout l’espoir des hommes. C’est lui que reprennent et portent à sa plénitude de sens, c’est-à-dire jusqu’à Dieu, les chrétiens de Rome le jour de la Toussaint. Quand ils entrent dans l’immense cimetière du Campo verano où s’impose si violemment la réalité de la mort, ils détachent de la gerbe qu’ils portent une fleur, la plus belle, et ils la déposent au pied de la plus monumentale statue du Christ Ressuscitant devant laquelle ils passent.
Et le soir venu, c’est d’un immense amoncellement fleuri que surgit l’image du Ressuscité. Toutes ces fleurs ne parlent plus alors d’espoirs toujours menacés, mais elles proclament l’espérance que fait fleurir une sève d’éternité. Les fleurs de la Toussaint. Novembre 1986. L’aujourd’hui du Christ dans l’aujourd’hui du monde, p.111.
5 «J’insiste avant tout pour qu’on fasse des prières de demande, d’intercession, d’action de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’Etat et tous ceux qui ont des responsabilités … » C’est saint Paul qui parle ainsi à Timothée, son collaborateur si proche qu’il l’appelle « mon véritable enfant dans la foi. »
Et s’il prend ce ton d’autorité, c’est pour l’inciter à réveiller dans la communauté qui lui est confiée le sens d’une fonction, d’un travail qui incombe à toutes églises et à tout croyant.
Nous le disons en effet dans une des prières eucharistiques : «Dieu nous a choisi pour servir en sa présence». Et ce service pour lequel nous sommes appelés et qui fait de nous des croyants, c’est celui de la prière pour tous les hommes.
Si nous voulions exprimer combien cette tâche est indissociable de notre vie, combien elle est simple et quotidienne dans son exigence mais vitale pour l’ensemble des hommes, il faudrait oser un mot du vocabulaire familier et dire : pour nous, prier, c’est notre boulot !
Prier, en effet, c’est ouvrir notre cœur au flot de la vie, c’est accueillir en nous tout ce que l’existence humaine charrie de beauté et d’espoir, de réussites et de bonheurs, mais aussi d’échecs, de drames, et, chargés de cet émouvant fardeau, se présenter devant celui que nous appelons « notre Père » parce que nous croyons qu’il est la vie et que, dans son jaillissement inépuisable, il veut vivifier pleinement tout ce que nous, les hommes, nous tentons vainement d’amener à la plénitude.
Prier, c’est essayer de dire en vérité « Notre Père… » C‘est pour que ces deux mots porteurs de vie puissent monter du cœur misérable du monde vers le cœur vivant de Dieu que, par un choix inexplicable nous sommes devenus croyants. Si nous refusions cette tâche vivifiante nous serions semblables, mais en pire, à un boulanger qui, par négligence, n’aurait pas cuit sa fournée quotidienne, abandonnant ainsi ses clients à leur faim et à leur faiblesse.
A quelques jours de notre fête patronale (Saint Vincent de Paul), reprenons conscience de la vocation de notre communauté paroissiale et parcourant les rues de notre quartier, témoins attentifs de la vie quotidienne, faisons notre travail de croyants, « boulangeons » pour nos frères les hommes le pain de la vie en disant : « Notre Père. » Le service de la prière.b 24 septembre 1989. Chrétien au quotidien, p.9.
6 Vers la fin de sa vie, Marguerite Yourcenar a fait publier dans une édition très soignée un petit livre d’à peine cent pages dont elle dit elle-même qu’il lui a « servi de livre de chevet et de livre de voyage… et, parfois, de provision de courage ». Sous le titre La voix des choses, elle y a rassemblé des photographies et surtout des paysages et, pour donner voix à leur parole informulée, elle y a joint un ensemble de brèves sentences de sagesse glanées dans le champ des siècles et des multiples civilisations.
Bien différent des illustrés qui, dès la page de couverture, aveuglent l’esprit et écrasent le cœur sous le poids des mots et le choc des images, La voix des choses est un livre qu’on n’ouvre que doucement dans l’attente de l’image ou de la phrase qui se feront lumière et confidence, précieuses l’une et l’autre pour le cœur qui les conservera.
Comme cela arrive au tout début du printemps où le regard attentif sait découvrir parmi les herbes et les ronces la violette enfouie, un jour, au détour d’une page, je me suis arrêté sur cette phrase d’un vieux rabbin hassidique : « Dieu est là où on le laisse entrer. »
À vrai dire, si Marguerite Yourcenar signale l’origine hassidique de cette sentence, elle ne précise pas que l’auteur en soit un vieux rabbin. Mais, je dois l’avouer, l’attribution s’est imposée spontanément à mon esprit tant on perçoit là, condensée en ces quelques mots, l’expérience spirituelle d’un peuple à la longue mémoire. C’est la voix d’Élie découvrant sur l’Horeb que Dieu n’habite ni l’ouragan, ni le tremblement de terre, ni le souffle crépitant du brasier, mais le murmure pénétrant de la brise. Ce sont les mots mêmes de celui que l’Apocalypse nomme étrangement « l’Amen », le « Oui » et qui dit : « Je me tiens à la porte et je frappe et si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui, et lui près de moi.»
Finalement c’est vers le consentement silencieux que toutes les sagesses, quelle que soit leur origine, tentent de guider l’homme. De même les productions de l’art : elles ne sont vraiment grandes que lorsqu’elles s‘avèrent aptes à conduire jusqu’à ce point de silence où le cœur s’ouvre, offert, au flux de la vie.
Lorsque, ainsi dépouillées de toute intention apologétique ou utilitaire, l’œuvre d’art ne cherche rien d’autre que de susciter le silence, alors, peu importe que son thème soit profane ou religieux, elle appartient par elle-même à l’ordre du sacré, elle est cette porte silencieusement entr’ouverte pour une brise légère, voix et vêtement de Dieu qui est là où on laisse entrer. Si quelqu’un ouvre la porte… Mars 1989. L’aujourd’hui du Christ dans l’aujourd’hui du monde, p.177.
7 Pour les chrétiens, sans doute majoritaires parmi les lecteurs de N.R.G., ces premiers jours d’avril sont marqués comme pour tout le monde, par l’apparition du printemps dans la douceur de la lumière et l’éclat des crocus et des primevères, mais ils le sont bien davantage par les célébrations religieuses qui confèrent à l’une des semaines de ce mois d’avril le titre prestigieux de Semaine Sainte.
Ces événements de la vie du Christ que, jour après jour nous y évoquons sont dotés, selon la foi des croyants, d’une « vertu » singulière. Posés à une date déterminée et précise de l’histoire, les énergies dont ils étaient alors porteurs débordent ce moment historique. Elles ne se diluent pas dans l’univers des souvenirs mais elles demeurent agissantes à un point tel qu’elles sont perçues comme actuelles et contemporaines de chacun de nos jours.
Le Jeudi Saint, avec le Lavement des pieds et la Cène, le Vendredi Saint avec le Calvaire et le Tombeau, Pâques et le triomphe sur la mort appartiennent en fait à notre aujourd’hui. Il ne s’agit donc pas pour nous de nous retourner vers un passé pétrifié mais de nous laisser entraîner par des dynamismes qui perpétuent dans notre aujourd’hui la grandeur sacrée de gestes qui pourtant restent uniques.
Qu’un tel appel puisse nous atteindre en ce temps n’est sans nous faire trembler : qui osera, s’il n’y était poussé par cette exigeante requête de la foi, s’identifier au Christ du Calvaire? Un Saint François d’Assise lui, l’a désiré avec une telle violence que les stigmates du Crucifié se sont imprimés dans son corps manifestant ainsi l’intériorité et l’intensité de son union à Jésus. Sans doute sommes-nous trop prudents, nous, pour laisser monter en nous un tel désir qui nous semble présomption. Aussi préférons-nous fixer notre regard contemplatif non sur le Calvaire, dernier acte de la Passion, mais sur le tout premier geste de cette suite douloureuse, le Lavement des pieds. Là, nous, faibles hommes qui ne sommes pas des héros, nous nous retrouvons mieux. En quoi consiste-t-il en effet ce geste, ce tout premier geste, celui qui pour simple qu’il était, dévoilait déjà le sens et la portée de tout ce qui allait suivre ? De l’eau limpide versée au soir d’une journée épuisante sur des pieds gonflés chaleur, souillés de poussière, pour qu’ils ressentent fraîcheur, repos, bien-être. Rien de plus.
Tel est Jésus. Tout en lui est d’une déconcertante simplicité mais, posé par lui ou en communion avec lui, le geste le plus banal, né de l’amour fraternel, devient sacrement de salut, geste re-créateur de l’univers nouveau.
Certains s’étonneront que de si grandes choses puisse ne s’envelopper d’aucun éclat, d’autres estimeront que c’est rabaisser la mission de Jésus que de lui assigner d’aussi modestes objectifs.
Mais nous, nous entendrons ces merveilleuses Béatitudes qui au seuil de la vie publique de Jésus et pour nous en révéler le sens, font tinter comme une cloche du matin huit fois le mot « heureux », nous rappelant que le bonheur est le nom commun, le nom de « tendresse » du salut. Bonheur : nom commun du salut. Avril 1993. L’aujourd’hui du Christ dans l’aujour’hui du monde, p. 323.
8 Pierre Bellégo venait d’achever un petit livre sur les sacrements. Il lui accordait une grande importance et, prévoyant sa mort, il avait confié à des amis son désir qu’il fasse l’objet d’une publication fut-elle posthume. Ce fut la première publication de l’Association des amis de Pierre Bellégo sous le titre Sauver ce qui était perdu. Salut et sacrement. Préface de Mgr Albert Rouet. Paris. 2003.
Dès aout 1982, une participante à une retraite à Saint Martin de Belleroche avait retenu la phrase :« Lorsque nous célébrons les sacrements, c’est d’abord pour assurer le salut du monde. » Le lien sacrement-salut du monde est exprimé dans l’Encyclique Laudato Si (235-236) et, à chaque eucharistie, nous le proclamons à la fin de l’offertoire par l’un des plus beaux pléonasmes « Pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».